Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/129

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songé à se mettre en défense quand le coup mortel descend sur lui.

Roland le frappe au flanc droit, sous la dernière côte ; le fer, entré par le ventre, ressort d’une palme du côté gauche, ruisselant de sang jusqu’à la garde. C’est de la main du plus franc et du meilleur guerrier de l’univers que fut porté le coup qui mit à mort le chevalier le plus redoutable de tous les païens.

Le paladin, peu joyeux d’une telle victoire, se jette promptement à bas de selle, et, le visage troublé et plein de larmes, il court en toute hâte à son cher Brandimart. Il voit tout autour de lui la terre couverte de sang. Son casque, qui semble ouvert d’un coup de hache, ne l’avait pas plus protégé que s’il eût été d’écorce.

Roland relève sa visière, et voit qu’il a la tête fendue jusqu’au nez, juste entre les deux sourcils. Cependant Brandimart a conservé assez de souffle pour demander pardon de ses fautes au roi du Paradis, pour consoler le comte dont les joues sont sillonnées de larmes, et l’exhorter à la patience.

Il lui dit : « Roland, souviens-toi de moi dans tes prières qui sont agréables à Dieu. Je te recommande ma Fleur-de… » Mais il ne peut en dire davantage ; il meurt sans achever le mot. Des voix d’anges, s’unissant en chœurs célestes, s’entendirent soudain dans les airs, dès qu’il eut exhalé son âme ; et celle-ci, dégagée de ses liens corporels, s’éleva vers le ciel au milieu d’une douce mélodie.