Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/158

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une déesse, et non une mortelle. Elle était presque aussi versée que son père dans tous les arts libéraux.

« À cette haute intelligence, à cette beauté non moindre qui aurait séduit les rochers eux-mêmes, elle joignait une sensibilité, une douceur de caractère dont je ne puis me souvenir sans sentir le cœur me manquer. Elle n’avait pas de plus grand plaisir, de plus vive satisfaction que d’être auprès de moi partout et toujours. Nous vécûmes longtemps ensemble sans avoir la moindre querelle, mais, à la fin, cette paix intérieure fut troublée, et par ma faute.

« Il y avait cinq ans que j’avais mis mon cou sous le nœud conjugal, lorsque mon beau-père mourut. Cette mort fut comme le signal des malheurs dont je ressens encore le contre-coup. Je te dirai comment. Pendant que je me renfermais ainsi dans l’amour de celle dont je viens de te faire un tel éloge, une noble dame du pays s’éprit de moi autant qu’on peut s’éprendre.

« Elle en savait, en fait d’enchantements et de maléfices, autant que pas une magicienne. Elle aurait pu rendre lanuit lumineuse et le jour obscur, arrêter le soleil et faire marcher la terre. Cependant elle ne put parvenir à ce que je consentisse à poser sur sa blessure d’amour le remède que je n’aurais pu lui donner sans offenser souverainement ma femme.

« Non pas qu’elle ne fût très gente et très belle dame, non pas que j’ignorasse qu’elle m’ai-