Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/161

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fais une nouvelle expérience avec la coupe. Tu verras alors si tu pourras boire, ou si tu te mouilleras la poitrine."

« Il me sembla dur de quitter ma femme, non pas que je doutasse de sa fidélité, mais il ne me semblait pas possible de m’en séparer, même une heure. Mélisse me dit : "Je te ferai connaître la vérité par d’autres moyens encore. Tu changeras de vêtements, tu déguiseras ta voix et tu te présenteras à ta femme sous un visage d’emprunt."

« Seigneur, il y a près d’ici une cité que le Pô entoure et défend, et qui étend sa juridiction jusqu’aux rivages battus par le flux et le reflux de la mer. Si elle le cède en antiquité à ses voisines, elle lutte avantageusement avec elles en richesses et en beautés. Elle fut fondée par les descendants des Troyens échappés à Attila, ce fléau de Dieu.

« Cette ville est soumise à un jeune chevalier riche et beau. Un jour, entraîné à la chasse à la suite de son faucon, il entra dans ma demeure. Il vit ma femme, et dès la première entrevue elle lui plut tellement, qu’il emporta son image gravée au cœur. Depuis, il ne négligea aucun moyen pour l’amener à satisfaire ses désirs.

« Elle le repoussa si obstinément, qu’à la fin il se lassa de tenter de la séduire. Mais la beauté qu’Amour lui avait gravée au cœur ne sortit pas de sa mémoire. Mélisse me pressa tellement, qu’elle me fit consentir à prendre la figure de ce jeune chevalier. Aussitôt, et sans que je sache te