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Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/194

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ma poitrine, car ma mort à moi n’aurait pas été un bien grand malheur. De toute façon ne mourrai-je pas ? mais ma mort ne t’aura servi à rien ; tandis que si j’étais morte en préservant tes jours, je n’aurais pu perdre plus utilement la vie.

« Et si le ciel contraire et le destin cruel ne m’avaient pas permis de te sauver, au moins je t’aurais donné mes derniers baisers, j’aurais arrosé ton visage de mes larmes. Avant que les anges bienheureux eussent emporté ton âme vers le Créateur, je t’aurais dit : Va en paix, et attends-moi ; où tu seras, je ne tarderai pas à te rejoindre.

« Est-ce là, Brandimart, est-ce là ce royaume où tu devais prendre le sceptre en main ? Est-ce ainsi que je devais aller avec toi à Damogère ; est-ce ainsi que tu devais me recevoir dans ton royal palais ? Ah ! Fortune cruelle, quels projets d’avenir es-tu venue briser ! quelles espérances viens-tu me ravir aujourd’hui ! Hélas ! puisque j’ai perdu tout mon bien, qu’attends-je pour quitter la vie ? »

À ces mots, suivis de beaucoup d’autres semblables, la fureur et la rage lui reviennent avec une telle force, qu’elle se met de nouveau à déchirer ses beaux cheveux, comme si ses beaux cheveux étaient coupables. Elle se frappe, et se mord les deux mains, et plonge ses ongles dans son sein et sur ses lèvres. Mais pendant qu’elle se détruit de ses propres mains, et qu’elle se consume de douleur, revenons à Roland et à ses compagnons.