Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/196

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Au retour du paladin, les cris et les plaintes redoublent. Roland, s’étant approché du corps de Brandimart, reste un moment à le contempler sans prononcer une parole. Pâle comme le troène ou comme la molle acanthe cueillie au matin, il pousse un profond soupir. Puis, les yeux toujours fixés sur son ami, il lui parle ainsi :

« Ô brave, ô cher et fidèle compagnon, dont le corps est là, mort, tandis que ton âme, je le sais, vit au ciel d’une vie que tu as si bien gagnée et où tu n’auras plus jamais à souffrir du chaud ou du froid, pardonne-moi de pleurer ici sur toi. Si je me plains, c’est d’être resté, et de ne pas goûter avec toi une telle félicité, et non pas de ce que tu n’es plus ici-bas avec moi.

« Sans toi, je suis seul ; sans toi, il n’y a plus rien sur terre qui puisse me plaire désormais. Ayant été avec toi à la.tempête et à la lutte, pourquoi ne suis-je pas aussi avec toi dans le repos et dans le calme ? Bien grandes sont mes fautes, puisqu’elles m’empêchent de sortir de cette fange en même temps que toi. Si j’ai partagé avec toi les angoisses, pourquoi maintenant n’ai-je point aussi ma part de la récompense ?

« C’est toi qui as gagné, et c’est moi qui ai perdu ; mais si le bénéfice est tout entier pour toi, la perte n’est pas pour moi seul : l’Italie, les royaumes de France et d’Allemagne partagent ma douleur. Oh ! combien, combien mon seigneur et oncle, oh ! combien les paladins ont sujet de s’affliger ! Combien doivent pleurer l’Empire et