Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentir ; d’autant plus que tout n’est encore qu’un projet avec le prince de Grèce, tandis que j’ai été promise à Roger. »

Si la dame s’afflige et se tourmente, l’esprit de Roger n’est pas plus tranquille. Bien que la nouvelle ne soit pas encore connue dans la ville, elle n’esl pas un secret pour lui. Il s’en prend à la fortune qui s’oppose à son bonheur. Elle ne lui a cependant donné ni richesse, ni royaume, alors qu’elle s’est montrée si large envers des milliers de gens indignes de ses faveurs.

De tous les autres biens que la nature donne ou que l’on acquiert par le travail, il se voit aussi bien partagé que qui que ce soit au monde. Sa beauté l’emporte sur toutes les autres ; il est rare qu’il trouve quelqu’un capable de résister à sa force ; à nul autre que lui n’est dû le prix de la magnanimité et de la grandeur d’âme.

Mais le vulgaire, qui est en somme l’arbitre des honneurs, les refuse ou les donne comme il lui plait. Et sous ce nom de vulgaire je ne veux excepter personne, si ce n’est les hommes de bon sens, car ce n’est pas d’eux que les papes, les rois et les empereurs obtiennent leur sceptre. Mais la prudence et le bon sens sont des grâces que le ciel n’accorde qu’à peu de gens.

Le vulgaire, pour dire toute ma pensée, qui n’honore absolument que la richesse, ne voit rien de plus admirable au monde ; il n’estime, il n’apprécie aucune autre chose, ni la beauté, ni la vaillance, ni la force corporelle, ni l’adresse, ni