Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/65

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de toute sorte, arrachées aux lauriers, aux cèdres, aux oliviers, aux palmiers, il vint au bord de la mer et les jeta dans les flots. Ô bienheureux ceux que le ciel chérit, grâce que Dieu accorde rarement aux mortels ! ô l’étonnant miracle qui se produisit avec ces feuilles, dès qu’elles eurent touché l’eau !

Elles grandirent hors de toute prévision ; elles se recourbèrent, s’allongèrent, s’alourdirent ; les veines qui les sillonnaient d’abord se changèrent en madriers et en grosses traverses. La pointe garda sa forme aiguë. En un mot, elles devinrent toutes des navires de formes diverses, de diverses qualités, selon qu’elles avaient été cueillies sur des arbres différents.

Ce fut vraiment un miracle de voir toutes ces feuilles éparses se changer en fustes, en galères, en navires de haut bord. Ce fut un miracle aussi que de les voir toutes pourvues de voiles, de cordages et de rames, selon la nature de chaque vaisseau. Quant aux marins, le duc n’en manqua pas ; les Sardes et les Corses, dont le pays était voisin, lui fournirent des nochers, des patrons et des pilotes.

Les gens de toute sorte qui montèrent la flotte furent au nombre de vingt-six mille. Dudon leur fut donné pour capitaine. C’était un chevalier sage, aussi expérimenté sur terre que sur mer. La flotte était encore mouillée le long du rivage mauresque, lorsqu’arriva un navire chargé de prisonniers de guerre.

Il portait ceux que l’audacieux Rodomont avait