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Page:L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons, 1915.djvu/220

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L’ART DE SÉDUIRE LES HOMMES

noble déchu, aventurier, ingénieur manqué ou laquais, il y a un peu de tout cela dans le chauffeur d’automobile.

Il est le compagnon et l’ami du maître, car c’est une étroite intimité que donnent la poussière et la vitesse. Il connaît tous les secrets de la famille. La course des arbres, le frémissement du métal, les visages immobiles et stupéfaits qu’on entrevoit, communiquent une sorte de fièvre propice aux élans spontanés et aux confidences.

C’est un amant violent et passionné. Maniant l’acier, il sait manier la femme.

Naguère, dans le Midi, il a tué, à coups de revolver, la belle jeune fille qu’il avait serrée éperdue et brisée contre sa fourrure. Il ne pouvait supporter l’idée qu’elle serait mariée à un autre, à un de ces hommes médiocres, avocat ou médecin, qui n’ont pas connu les exaltations sublimes de l’espace et du danger. Criminel moins vulgaire qu’on ne pourrait croire ! N’avait-il pas reçu, ce Ruy Blas aux gants tachés de cambouis, le don rare et précieux d’une âme échappée à elle-même, qui sortit de sa vie quotidienne, pour se donner dans le vertige du vent à un inconnu audacieux ?