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Page:L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons, 1915.djvu/280

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L’AMOUR ET LES POISONS

solitude. Mon ennui est inguérissable. Aucun visage humain n’a de charme pour moi. Je vais consacrer ces jours à me reposer, à me soigner, pour revenir avec un teint parfait, une santé admirable, ces conditions essentielles qui me permettront d’être irrésistible, de faire à mon tour souffrir des hommes qui m’aimeront et que je n’aimerai pas.

Et, en effet, on est quelques jours fidèle à ce programme amer. On suit chaque matin un traitement ; sous une petite robe très simple, on s’en va vers une buvette, les yeux baissés, sans prêter la moindre attention aux œillades des messieurs que l’on rencontre, on ne répond pas au salut des plus audacieux qui font semblant de vous connaître, et l’on détourne ostensiblement la tête si l’on en rencontre un que l’on connaît en effet. Au restaurant on choisit une place tournée vers le mur, pour ne pas être importunée par des signes et des clignements d’yeux ; on met, le soir, une robe à peine décolletée, car on n’ignore pas le pouvoir des épaules nues, et, un livre à la main, on monte de très bonne heure l’escalier qui conduit à sa chambre, sans écouter au fond du couloir le pas d’un curieux obstiné. Et l’on ferme sa porte à double tour, car l’on n’ignore pas la grande importance des portes