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Page:L’Auvergne historique, littéraire et artistique, série 3, tome 1, années 1893-1894, 1903.djvu/227

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Il n’y a pas encore longtemps que le paysan de nos campagnes souriait, incrédule, au récit du trépas de l’Empereur à Sainte-Hélène. Que de fantaisistes croyances germèrent sur le cercueil du roi de Rome ! Ne s’est-il pas trouvé naguère un front assez légitime et assez large pour ceindre la lourde couronne de Charlemagne ? des mains assez puissantes pour relever le sceptre de fer et d’or des empereurs d’Occident ?

Or était-il possible de concevoir un thème plus élastique, plus poétique, plus favorable à l’hypothèse et au mirage que celui du royal Orphelin du Temple ! Chétif oiselet, de si haut tombé si bas, – frêle et délicat chérubin soudain livré à la faim, au froid, aux coups, aux chansons obscènes, aux plaisanteries lugubres, voué sans air, sans lumière, sans jour, dans la pourriture d’un taudis, à une agonie lente et ténébreuse, – blonde victime expiatoire, innocente, ignorante même du mal, « n’y comprenant rien, ni pourquoi hier il s’appelait Louis et s’entend aujourd’hui interpeller Capet, ni pourquoi la veille il était vêtu de velours et se trouve le lendemain quasi en guenilles, ni pourquoi, ayant pour bons parents tous les souverains d’Europe, le voilà seul, sans même sa sœur[1] ».

Le voile couvrant la fin prématurée du jeune duc de Normandie, le mystère impénétré de sa mort, son inhumation presque clandestine, la nuit, dans une fosse du cimetière Sainte-Marguerite où, en vain, le roi son oncle fit plus tard rechercher ses restes, étaient bien propres à échauffer les imaginations simples ou exaltées, les cœurs attendris, les cerveaux étroits ou ébranlés.

Les fanatiques de la royauté, se raccrochant à un prophète, n’admettaient pas le scandale de la Providence qui, en laissant mourir le Dauphin, eût renouvelé le scandale du Christ immolé par les Juifs. Les légitimistes plus rassis ne s’en demandaient pas moins si la mort civile du Temple ne constituait pas un simple escamotage qui faisait jumeaux l’intérêt de la Convention et celui du comte de Provence.

Dès 1795, les rumeurs d’évasion circulaient discrètes. Une fois le

  1. Mme Séverine : Capet... dors-tu ? (Le Journal, 8 juin 1895.)