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Page:L’Auvergne historique, littéraire et artistique, série 3, tome 1, années 1893-1894, 1903.djvu/228

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branle donné, il devint impossible d’en enrayer la marche. Elles tinrent le pays en haleine. Les douairières, les vieux gentilshommes chuchotaient entre eux en branlant la tête, se racontant, au ras de leurs tabatières, les conspirations de Frotté, de Dilhon, de Pichegru, de Maison-Rouge. L’opinion publique s’agitait. En émigration, la rumeur de délivrance devenait certitude ; en Bretagne, en Vendée un article de foi.

À mesure que croissait le nombre de ceux qui révoquaient en doute le trépas officiel[1], se multipliaient les prétendus fils de Louis XVI, miraculeusement sauvés par la fidélité ou le dévouement.

Leur éclosion spontanée gagnait l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, la Russie et jusqu’aux États-Unis. La plupart des héritiers du trône se remémoraient, à travers les brumes du souvenir, leur enfance à Trianon, les transes des journées d’octobre, leur relégation aux Tuileries, le jardinet de la terrasse du bord de l’eau, l’arrestation à Varennes, leur mise en geôle, leur séparation d’avec la reine, les brutalités de l’infâme Simon, voire même la carmagnole et le deuil de Marat dont on les affubla. Chacun disait au peuple : « Regardez mon nez bourbonien comme celui de Louis XVI, ma lèvre autrichienne comme celle de Marie-Antoinette, sur mes bras les piqûres de l’inoculation, sur mes joues les taches de rousseur, stigmates éloquents, Totem à la mode huronne qui attestent ma légitimité. »

Les uns avaient été escamotés de la prison dans un paquet de linge sale, d’autres dans les flancs d’un cheval de bois ou de carton, d’autres dans la manne d’une repasseuse, ceux-ci dans la hotte d’un colporteur, ceux-là dans le double fond du cercueil, le jour même de l’inhumation de l’enfant substitué.

Tous invoquaient le témoignage de personnages fort honorables, généralement décédés, ou présentaient d’anciens pages, de vieux serviteurs édentés de la monarchie, à l’œil éteint, à la voix chevrotante,

  1. Beaucoup de gens d’esprit soutiennent encore de nos jours la vraisemblance ou au moins la possibilité de l’enlèvement du prisonnier du Temple : tels Louis Blanc, Frédéric Bulau, Henri Provins, Victorien Sardou... sans compter la légion de ceux qui se sont déclarés solidaires d’Hervagault, de Bruneau, de Richemont, de Naundorff ou d’un des autres prétendants.