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Page:L’Auvergne historique, littéraire et artistique, série 3, tome 1, années 1893-1894, 1903.djvu/250

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de dix sols, formant triangle avec l’œil et l’oreille, et sur lequel on distinguait, à l’aide du microscope, les lettres L, A, C, X. C’était le signe secret au moyen duquel la famille royale s’était promis de me reconnaître un jour.

Les dames auxquelles je venais d’être confié s’appliquèrent à faire disparaître mes taches de rousseur, mais elles ne songèrent pas ou ne parvinrent pas à effacer les autres marques révélatrices dont j’étais porteur.

Il y avait au château un enfant de mon âge, nommé Victor Persat, que ses parents avaient mis en nourrice, trois ans auparavant, chez une paysanne des environs qui avait allaité deux de ses frères. La nourrice ayant été obligée, par je ne sais quelle circonstance, de s’absenter du pays, l’enfant avait été recueilli par celles qui devenaient mes gardiennes. De sorte qu’à mon arrivée je trouvai un petit camarade avec lequel je vécus un mois durant.

Les dames de la montagne me dévêtirent de mes habillements et m’endossèrent les hardes du jeune paysan. Elles m’enlevèrent aussi trois lettres et un diamant que j’avais apportés du Temple. Je pleurai beaucoup en me voyant privé du bijou dont je ne voulais pas me séparer. On le remplaça par une autre pierre assez jolie qui finit par me consoler. Cette pierre, je l’échangeai plus tard contre deux toupies avec le fils Gerzat qui est aujourd’hui adjoint de la commune d’Ennezat.

Chaque jour on m’administrait un breuvage destiné à me faire perdre la mémoire. De fait, ce fut l’usage de la parole que je perdis momentanément. Je conservai présent le souvenir des événements que je rapporte, bien que parfois, depuis, il me soit venu à l’esprit qu’ils étaient illusoires. En 1822 seulement, je me reconvainquis de leur réalité ainsi qu’on le verra par la suite.

Lorsque la nourrice revint, on me remit entre ses mains comme étant son ancien nourrisson, et celle-ci me ramena chez mon père supposé, au village d’Ennezat.

Cette femme fut-elle complice de la substitution ou fut-elle trompée elle-même ? Je l’ignore. Quoi qu’il en soit, j’entrai ainsi dans une famille qui m’était étrangère. Mes manières nobles, mon maintien de ci-devant sous des habits rustiques inspirèrent au premier abord quelque étonnement et même quelques doutes à mon entourage, mais la nourrice les dissipa en expliquant que ma civilisation provenait de ce que, souvent accueilli par des personnes de distinction, j’en avais pris les manières. Un soir qu’il y avait à la maison nombreuse compagnie, j’entendis un des invités dire à Antoine Persat : « Votre fils tient de votre grand-père, vous savez, le chevalier de Saint-Louis. »