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Page:L’Auvergne historique, littéraire et artistique, série 3, tome 1, années 1893-1894, 1903.djvu/251

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Me voici donc à Ennezat, dont je me plais à retracer de mémoire la silhouette[1].

Peu de temps après mon installation, je fus conduit par une servante boiteuse dans la grange d’un riche propriétaire de la contrée, le sieur Guérin. On y célébrait secrètement, de jour à autre, l’office divin auquel assistaient les Gerzat, Lassère, Jaffeux, Vannaire, Terme, Montbur, tous bons royalistes de tout temps. Quelle ne fut pas ma surprise en reconnaissant dans l’officiant le joueur d’orgue qui m’avait soustrait à la prison du Temple et conduit au château voisin. On l’appelait l’abbé Rose. Il résida dans le pays durant cinq ans.

Je fus bientôt envoyé à Lezoux, petite ville où se trouvaient déjà deux de mes frères, en pension chez un nommé Ferrier. On troqua le nom de Monsieur, que chacun me donnait habituellement, en celui d’Auguste. Je ne fis là aucun progrès, car les substances que l’on m’avait fait absorber m’avaient plongé dans un état de stupidité qui me faisait passer pour sournois. Lorsqu’on me maltraitait, ce qui arrivait souvent, et que je pouvais m’isoler, je me disais : « Un peu loin d’ici, on ne me battait pas ; mais là-bas, bien loin, bien loin, comme j’étais choyé par ma mie Charlotte, maman reine et tante Lisette ! » Je renfermais toutes ces pensées en moi-même et je n’aurais même pas su les exprimer.

Il est certain qu’à toutes les époques de ma vie j’ai eu auprès de moi des surveillants et des espions ; on m’eût plutôt ravi la raison que de me laisser mon libre arbitre. Je n’ai eu que la faculté de végéter sans pouvoir m’avancer dans les sciences. Les talents que je fais connaître aujourd’hui me sont naturels, c’est-à-dire que je les ai acquis sans le secours d’aucun maître et en dépit des obstacles semés sur ma route.

Je fus placé dans diverses autres pensions sans plus de succès.

À mon retour à Ennezat, les Persat furent frappés de la religiosité de ma conduite qui ne cadrait pas avec les mœurs du temps et que rien n’a jamais fait varier. On m’excluait de la table de famille parce que je ne voulais pas faire gras les jours défendus. Les demoiselles Persat doivent se le rappeler ; elles avaient alors 15 à 16 ans.

En 1806, des affaires d’intérêt appelèrent mes parents à Bordeaux. Je les suivis. Nous descendîmes grande rue Saint-Jean. Nous avions pour voisin un M. Verdeuille, marchand épicier et ouvrier raffineur. Son commerce était dirigé par sa femme, aidée de deux jeunes personnes qui passaient pour ses filles. La première fois que je vis ces dames, j’éprouvai un tressaillement dans tout mon être. Je crus d’abord que c’était l’amour

  1. À l’entrée du village, sur la route de Riom, on trouve l’église et le cimetière au devant ; plus loin l’horloge sur sa tour carrée à flèche élancée, telle qu’elle existe aujourd’hui ; plus loin encore, le pont des Archers. Si la maison de Persat est figurée, aucun numéro n’en indique l’emplacement.