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Page:L’Auvergne historique, littéraire et artistique, série 3, tome 1, années 1893-1894, 1903.djvu/254

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À peine eus-je mis pied à terre à Bordeaux, que je me transportai à la demeure de Mme Verdeuille. Quel coup terrible en voyant la porte close ! Elle logeait, me dit-on, non loin de là. Je ne fis qu’un saut et je fus sur le sein maternel. Égale fut notre joie. Après bien des épanchements et des questions réciproques, je m’informai de ces demoiselles. « L’aînée est morte, me répondit-elle, la cadette est à la campagne. » La satisfaction du moment présent amortit la peine que devait me faire éprouver la fin prématurée d’une jeune personne que je considérais comme une bonne amie et dont j’aurais pu devenir le mari si les intrigants dont j’étais le jouet n’en avaient décidé autrement.

Le temps s’écoulait et il fallut bien m’arracher à mon bonheur. Je touchai barre en Auvergne et j’arrivai à Paris où l’on me versa à la 1re compagnie. J’allais avec mon nouveau corps entreprendre la campagne de Russie qui devait être ma dernière.

Inutile d’entrer dans des détails connus de tous et de retracer les circonstances où je pris à l’ennemi drapeaux et pièces de canon. Un seul fait qui fit assez de bruit en son temps : C’était à Moscou. Une querelle surgit entre un escadron de mon régiment et une compagnie de la 108e, querelle qui s’envenima et qui menaçait d’entraîner une collision générale. Pour éviter un pareil conflit, il fut décidé que l’affaire serait vidée par deux académistes, et je fus désigné par les chasseurs comme leur champion, non parce que j’étais un bretteur, mais parce que je m’étais signalé dans plusieurs rencontres de ce genre. On me donna pour adversaire le premier maître d’armes du 108e, tambour-major du régiment. Je mis mon tambour à la raison. J’en fus quitte pour quelques bouteilles de cosalki (eau-de-vie en français). Et quand il prit congé, je lui fis une harangue que je ne rapporte pas, mais qui circula de bouche en bouche.

À la retraite de Moscou, je tombai frappé d’un coup de sabre en tierce et en quarte. Je fus mis à la retraite et je n’avais que 23 ans.

En 1814, je rentrai chez les Persat où je ne tardai pas à concevoir le soupçon que mes persécuteurs les avaient gagnés à leurs intérêts. J’en ai aujourd’hui la preuve. Il n’est pas de trahison que ma famille adoptive ne mît en œuvre contre moi. Grâce à ses manœuvres, je ne pus contracter des mariages de mon goût. Elle multiplia les avanies à tel point que je résolus de m’expatrier.

Pour mettre mon projet à exécution, je vins à Paris, en 1817, demander un passeport qui me fut accordé sans difficulté. Une circonstance imprévue me retint dans la capitale. La famille royale venait d’être instruite de mon existence par les débats du procès de Mathurin Bruneau et désirait me voir. Ce désir était un ordre auquel le marquis de