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Page:L’Auvergne historique, littéraire et artistique, série 3, tome 1, années 1893-1894, 1903.djvu/256

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Ma mère me parut tout autre ; son air froid, son front soucieux paralysèrent mes effusions. Ce changement m’est expliqué aujourd’hui que je sais que le marquis de La Fayette était auprès d’elle, qu’il l’avait circonvenue de méchants rapports et qu’il avait obtenu son consentement à mon transfert dans les colonies.

Qui pourrait douter que la reine et la famille royale aient été les dupes des artifices et des trames de cet infernal marquis ? S’il en avait été autrement, ma mère n’aurait eu qu’à me reconnaître publiquement et à me dire : « Épouse ta cousine, la fille du comte d’Artois, que je faisais passer pour ma fille et que tu crois morte. Par ce mariage, vous comblerez mes vœux et tarirez la source de mes maux. » Peut-on supposer que je me serais refusé à ce dénouement qui eût au contraire satisfait mes ambitions ? Aujourd’hui il n’est plus temps ; il faut laisser cicatriser les plaies.

Je reprends le fil de mon récit.

Nanti de l’ordre d’embarquement arraché à la crédulité de ma mère, le marquis crut tenir en son pouvoir toute la famille des Bourbons, car il était bien déterminé à ne faire cesser ma relégation que lorsque j’aurais souscrit à son plan de gouvernement. Il se trompait.

J’abordai à l’île de Cuba en 1821 et je me mis immédiatement en mesure de gagner ma vie. Je parlais d’ailleurs couramment l’espagnol.

Je pris en mains la truelle, le marteau et le compas. Le roi, mon père, qui était un serrurier habile, m’avait fabriqué lui-même des instruments de travail analogues quand j’étais enfant. Puisqu’il avait été serrurier, je pouvais bien être maçon.

Et non seulement je fus maçon, mais je fus charpentier. Je fus employé à la sucrerie de Don José Ernandez. Son moulin à sucre pouvait moudre 40 voitures de cannes ; je lui proposai de lui en faire moudre 60. « Per la Madre de Dios, me répondit-il, si vous le faites je vous donnerai mille piastres. » ─ « Je me contenterai, répliquai-je, du cheval qui m’a amené à la plantation. » Je le fis et, dès lors, les commandes affluèrent, d’autant que je m’étais signalé aussi par d’importantes inventions touchant les moulins à café. J’eusse certainement fait fortune si les intrigues dont j’étais l’objet n’avaient recommencé.

Le marquis de La Fayette vint en effet, en 1823, me rejoindre à la Havane, sous un nom supposé. Il s’ouvrit à moi et me dévoila enfin le secret de ma naissance. Quand je dis qu’il me le dévoila, je me trompe, il ne fit que me le confirmer. Car, depuis que l’on avait cessé de m’administrer le poison, la mémoire m’était revenue et divers incidents m’avaient mis sur la trace de la vérité. La Fayette donc me révéla les principaux événements de ma jeunesse et me demanda de signer les lois