Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/24

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« Hélas ! les hommes osent accuser les dieux ! Ils disent que leurs maux viennent de nous, tandis que malgré le destin ils souffrent, par leur propre folie, tant de douleurs amères ! Ainsi, Égisthe, s'opposant à la destinée, s'unit à l'épouse d'Atride, et tua ce héros à son retour. Il n'ignorait cependant pas sa triste fin : pour la lui annoncer nous lui envoyâmes Mercure, le prudent meurtrier d'Argus, qui lui dit de ne point immoler Agamemnon, et de respecter son épouse, car Oreste les vengerait un jour, lorsqu'entré dans l'adolescence il désirerait posséder l'héritage de ses pères. Ainsi parla Mercure ; mais ces sages conseils n'allèrent point à l'âme d'Égisthe ; et maintenant il expie tous ses crimes.»

Minerve aux yeux d'azur [1] lui répond aussitôt :

« Ô fils de Saturne, notre père, le plus puissant des rois, oui, sans doute, cet homme a péri d'une mort justement méritée. Meure ainsi tout mortel coupable de tels attentats ! Mais mon cœur est dévoré de chagrin en pensant au sage Ulysse, à cet infortuné qui, depuis longtemps, souffre cruellement loin de ses amis, dans une île lointaine, entouré des eaux de la mer. C'est dans cette île ombragée d'arbres qu'habite une déesse, la fille du malveillant Atlas [2], de celui qui connaît toute la profondeur des mers et porte les hautes colonnes qui soutiennent la terre et les cieux. Sa fille retient ce malheureux versant des larmes amères : elle le flatte sans cesse par de douces et par de trompeuses paroles pour lui faire oublier Ithaque ; mais Ulysse, dont le seul désir est de voir s'élever dans les airs la fumée de sa terre natale, désire la

  1. Madame Dacier, Bitaube et Dugas-Montbel passent tous trois sous silence l'épithète γλαυκῶπις (aux yeux d'azur, aux yeux brillants, étincelants) qu'Homère donne à Minerve.
  2. Le texte grec porte Ἄτλαντος θυγάτηρ ὀλοόφρονος. Madame Dacier ne mentionne pas l’épithète ὀλοόφρων; Bitaube et Dugas-Monthel la rendent, l'un par savant, l'autre par prudent. Nous avons, nous, donné au mot ὀλοόφρων, g. ονος sa véritable signification (qui roule de mauvais desseins, malveillant, méchant, malfaisant), en ne le confondant pas, comme l'ont fait Bitaube et Dugas-Montbel, avec le mot ὁλοόφρων, qui veut dire sage, prudent. - Dans l'édition de Clarke, de 1740, in-4o, ce passage est traduit par : Atlantis filia multiscii ; mais Dübner, dans son excellente traduction latine (édit. de 1858), a corrigé cette faute en Ἄτλαντος θυγάτηρ ὀλοόφρονος par Atlantis filia perniciosa cogitantis.