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contredisait fort agréablement dans une réponse à la fois spirituelle et modérée, quand il justifiait en vers latins les mesures de Henri II pour asservir la magistrature[1] ; cela ne les empêchait pas d’être amis. Nous avons, parmi les vers latins, un distique qui prouve que La Boétie était admis dans l’intimité de Dorat. C’est une pensée philosophique inspirée par l’horloge de Marguerite de Laval, première femme de Dorat[2]. L’horloge était habilement construite et on ne voyait pas couler le sable qui la mettait en mouvement : ainsi le temps passe sans qu’il y paraisse. Le foyer de Dorat fut le premier asile de la Pléiade ; on n’ignore pas l’action prépondérante que le savant helléniste exerçait sur ses disciples, qui aimèrent toujours à se réunir autour de lui. N’est-il pas très vraisemblable après cela, que La Boétie, accueilli dans cette famille, dut y rencontrer ceux qui en faisaient l’ornement et qui étaient alors les gloires de la poésie française ?

Tout semble faire supposer que La Boétie put, de la sorte, approcher Ronsard, autour duquel rayonnait toute la jeunesse éclairée. Ronsard conserva jusqu’à la fin de sa vie les relations les plus étroites avec son maître Dorat, et La Boétie portait à celui qu’on regardait comme le prince des poètes une telle admiration, qu’elle dut lui faire souhaiter de le connaître plus intimement que par ses vers. Lui-même laisse entendre, dans son Contr’un, qu’il avait approché du chef incontesté des poètes d’alors : « J’entens sa portee, ie connois l’esprit aigu, ie sçay la grâce de l’homme, » dit-il de Ronsard, et ces expressions marquent bien la déférence de l’écrivain. La Boétie ne tolérait pas qu’on attaquât le grand poète, et ceux qui s’avisaient d’y toucher subissaient sa colère. Témoin Gaillard de Lavie, son collègue au Parlement de Bordeaux[3]. Celui-ci était choqué des vers amoureux de Ronsard, trop nom-

  1. Voir les deux pièces intitulées : Joannis Aurati de Androgyno et Senatu semestri (Poemata, f° 117 v°; ci-dessous, p. 237). À l’occasion de cette lutte, J.-C. Scaliger composait un quatrain trop flatteur pour La Boétie pour ne pas le citer ici (J.-C. Scaligeri Poemaia, 1574, 1re partie, p. 203 :

    BŒTIANI IAMBUS FILIUS ANDROGYNI AURATINI
    Non mirum Androgyni productum e semine fœtum
    Ulraque commodius semima juncta vigent.
    Sed mirum e neutro (neutrum est hoc, quicquid utrumque est)
    Tam fortem atque acrem prosiluisse virum.

  2. In horolagium Margaretœ Lavaliœ eâ arte compositum ut sabulum fluens videre nequeat (Poemata, f° 107 v° ; ci-dessous, p. 218).
  3. In Lavianum qui Petrum Ronsardum monuerat ut non amplius amores sed Dei laudes caneret (Poemata, f° 107 ; ci-dessous, p. 217). — Sans