Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/206

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On s’élève à la ville dans une indifférence groſſière des choſes rurales & champeſtres ; on diſtingue à peine la plante qui porte le chanvre d’avec celle qui produit le lin, & le blé froment d’avec les ſeigles, & l’un ou l’autre d’avec le méteil : on ſe contente de ſe nourrir & de s’habiller. Ne parlez à un grand nombre de bourgeois ni de guérets, ni de baliveaux, ni de provins, ni de regains, ſi vous voulez eſtre entendu : ces termes pour eux ne ſont pas français. Parlez aux uns d’aunage, de tarif, ou de ſol pour livre, & aux autres de voie d’appel, de requeſte civile, d’appointement, d’évocation. Ils connaiſſent le monde, & encore par ce qu’il a de moins beau & de moins ſpécieux ; ils ignorent la nature, ſes commencements, ſes progrès, ſes dons & ſes largeſſes. Leur ignorance ſouvent eſt volontaire, & fondée ſur l’eſtime qu’ils ont pour leur profeſſion & pour leurs talents. Il n’y a ſi vil praticyen, qui, au fond de ſon étude ſombre & enfumée, & l’eſprit occupé d’une plus noire chicane, ne ſe préfère au laboureur, qui jouit du ciel, qui cultive la terre, qui sème à propos, & qui foit de riches moiſſons ; & s’il entend quelquefois parler des premiers hommes ou des patriarches, de leur vie champeſtre & de leur économie, il s’étonne qu’on ait pu vivre en de tels temps, où il n’y avoit encore ni offices, ni commiſſions, ni préſidents, ni procureurs ; il ne comprend pas qu’on ait jamais pu ſe paſſer du greffe, du parquet & de la buvette.

22. — Les empereurs n’ont jamais triomphé à Rome ſi mollement, ſi commodément, ni ſi sûrement meſme, contre le vent, la pluye, la poudre & le ſoleil, que le bourgeois ſçait à Paris ſe faire mener par toute la ville : quelle diſtance de cet uſage à la mule de leurs anceſtres ! Ils ne ſavaient point encore ſe priver du néceſſaire