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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/106

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FABLES CHOISIES.

Je me suis proposé d’en faire vos retraites.
Tenez donc ; voicy deux buchetes :
Accomodez-vous, ou tirez.
Il n’est rien, dit l’Aragne, aux cases qui me plaise.
L’autre tout au rebours voyant les Palais pleins
De ces gens nommez Medecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l’autre lot ; y plante le piquet ;
S’étend à son plaisir sur l’orteil d’un pauvre homme,
Disant, Je ne crois pas qu’en ce poste je chomme,
Ny que d’en déloger, et faire mon paquet
Jamais Hipocrate me somme.
L’Aragne cependant se campe en un lambris,
Comme si de ces lieux elle eust fait bail à vie ;
Travaille à demeurer : voilà sa toile ourdie ;
Voilà des moûcherons de pris.
Une servante vient balayer tout l’ouvrage.
Autre toile tissuë ; autre coup de balay.
Le pauvre Bestion tous les jours déménage.
Enfin, aprés un vain essay
Il va trouver la Goute. Elle estoit en campagne,
Plus mal-heureuse Aragne.
Son hoste la menoit tantost fendre du bois,
Tantost foüir, hoüer. Goute bien tracassée
Est, dit-on, à demy pensée.
O, je ne sçaurois plus, dit-elle, y resister.
Changeons, ma sœur l’Aragne. Et l’autre d’écouter.
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane :
Point de coup de balay qui l’oblige à changer.
La Goute d’autre part va tout droit se loger
Chez un Prelat, qu’elle condamne
A jamais du lit ne bouger.
Cataplasmes, Dieu sçait. Les gens n’ont point de honte
De faire aller le mal toûjours de pis en pis.
L’une et l’autre trouva de la sorte son conte ;
Et fit tres-sagement de changer de logis.