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FABLES CHOISIES.

Rarement la Fortune à ses hostes le laisse.
Ne cherchez point cette Déesse,
Elle vous cherchera ; son sexe en use ainsi.
Certain couple d’amis en un bourg étably,
Possedoit quelque bien : l’un soûpiroit sans cesse
Pour la Fortune ; il dit à l’autre un jour ;
Si nous quittions nostre sejour ?
Vous sçavez que nul n’est prophete
En son païs : Cherchons nostre avanture ailleurs.
Cherchez, dit l’autre amy ; pour moy je ne souhaite
Ny Climats ny destins meilleurs.
Contentez-vous ; suivez vostre humeur inquiete ;
Vous reviendrez bien-tost. Je fais vœu cependant
De dormir en vous attendant.
L’ambitieux, ou si l’on veut, l’avare,
S’en va par voye et par chemin.
Il arriva le lendemain
En un lieu que devoit la Déesse bizarre
Frequenter sur tout autre ; et ce lieu c’est la cour.
Là donc pour quelque-temps il fixe son sejour,
Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures
Que l’on sait estre les meilleures ;
Bref se trouvant à tout, et n’arrivant à rien.
Qu’est cecy ? ce dit-il ; Cherchons ailleurs du bien.
La Fortune pourtant habite ces demeures.
Je la vois tous les jours entrer chez celuy-cy,
Chez celuy-là ; D’où vient qu’aussi
Je ne puis heberger cette capricieuse ?
On me l’avoit bien dit, que des gens de ce lieu
L’on n’aime pas toûjours l’humeur ambitieuse.
Adieu, Messieurs de cour ; Messieurs de cour adieu.
Suivez jusques au bout une ombre qui vous flate.
La Fortune a, dit-on, des temples à Surate ;
Allons-là. Ce fut un de dire et s’embarquer.
Ames de bronze, humains, celuy-là fut sans doute
Armé de diamant, qui tenta cette route
Et le premier osa l’abysme défier.
Celuy-cy pendant son voyage