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LIVRE SEPTIÉME.

Tous les deux ont raison ; et la Philosophie
Dit vray, quand elle dit, que les sens tromperont
Tant que sur leur rapport les hommes jugeront ;
Mais aussi si l’on rectifie
L’image de l’objet sur son éloignement,
Sur le milieu qui l’environne,
Sur l’organe, et sur l’instrument,
Les sens ne tromperont personne.
La nature ordonna ces choses sagement :
J’en diray quelque jour les raisons amplement.
J’apperçois le Soleil ; quelle en est la figure ?
Icy bas ce grand corps n’a que trois pieds de tour :
Mais si je le voyois là haut dans son sejour,
Que seroit-ce à mes yeux que l’œil de la nature ?
Sa distance me fait juger de sa grandeur ;
Sur l’angle et les costez ma main la détermine :
L’ignorant le croit plat, j’épaissis sa rondeur :
Je le rends immobile, et la terre chemine.
Bref je déments mes yeux en toute sa machine.
Ce sens ne me nuit point par son illusion.
Mon ame en toute occasion
Développe le vray caché sous l’apparence.
Je ne suis point d’intelligence
Avecque mes regards peut-estre un peu trop prompts,
Ny mon oreille ente à m’apporter les sons.
Quand l’eau courbe un baston ma raison le redresse,
La raison décide en maistresse.
Mes yeux, moyennant ce secours,
Ne me trompent jamais en me mentant toûjours.
Si je crois leur rapport, erreur assez commune,
Une teste de femme est au corps de la Lune.
Y peut-elle estre ? Non. D’où vient donc cet objet ?
Quelques lieux inégaux font de loin cet effet.
La Lune nulle part n’a sa surface unie :
Montueuse en des lieux, en d’autres applanie,
L’ombre avec la lumiere y peut tracer souvent
Un Homme, un Bœuf, un Elephant.
N’aguere l’Angleterre y vid chose pareille.