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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/244

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FABLES CHOISIES.

Avec ses compagnons tout le jour badiner,
Sauter, courir, se promener.
Quand il fut en l’âge où la chasse
Plaist le plus aux jeunes esprits,
Cet exercice avec mépris
Luy fut dépeint ; mais quoy qu’on fasse,
Propos, conseil, enseignement,
Rien ne change un temperament.
Le jeune homme inquiet, ardent, plein de courage,
A peine se sentit des boüillons d’un tel âge,
Qu’il soupira pour ce plaisir.
Plus l’obstacle estoit grand, plus fort fut le désir.
Il sçavoit le sujet des fatales défenses,
Et comme ce logis plein de magnificences,
Abondoit par tout en tableaux,
Et que la laine et les pinceaux
Traçoient de tous costez chasses et païsages,
En cet endroit des animaux,
En cet autre des personnages,
Le jeune homme s’émeut voyant peint un Lion.
Ah ! monstre, cria-t-il, c’est toy qui me fais vivre
Dans l’ombre et dans les fers. A ces mots il se livre
Aux transports violens de l’indignation,
Porte le poing sur l’innocente beste.
Sous la tapisserie un clou se rencontra.
Ce clou le blesse ; il penetra
Jusqu’aux ressorts de l’ame ; et cette chere teste
Pour qui l’art d’Esculape en vain fit ce qu’il put,
Deut sa perte à ces soins qu’on prit pour son salut.
Mesme précaution nuisit au Poëte Æschile,
Quelque Devin le menaça, dit-on,
De la cheute d’une maison.
Aussi-tost il quita la ville,
Mitson lit en plein champ, loin des toits ; sous les Cieux.
Un Aigle qui portoit en l’air une Tortuë,
Passa par là, vid l’homme, et sur sa teste nuë,
Qui parut un morceau de rocher à ses yeux,
Estant de cheveux dépourveuë,