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FABLES CHOISIES.




II.
LES DEUX PIGEONS.



Deux Pigeons s’aimoient d’amour tendre ;
L’un d’eux s’ennuyant au logis
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en loingtain pays.
L’autre luy dit : Qu’allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frere ?
L’absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel : Au moins que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage ;
Changent un peu votre courage.
Encor si la saison s’avançoit davantage !
Attendez les zephirs : Qui vous presse ? un Corbeau
Tout à l’heure annonçoit malheur à quelque oiseau.
Je ne songeray plus que rencontre funeste,
Que Faucons, que rezeaux. Helas, diray-je, il pleut :
Mon frere a-t-il tout ce qu’il veut,
Bon soupé, bon giste, et le reste ?
Ce discours ébranla le cœur
De nostre imprudent voyageur :
Mais le desir de voir et l’humeur inquiete
L’emporterent enfin. Il dit : Ne pleurez point :
Trois jours au plus rendront mon ame satisfaite :
Je reviendray dans peu compter de poinct en poinct
Mes aventures à mon frere.
Je le desennuiray. Quiconque ne void guere
N’a guere à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d’un plaisir extrême.