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FABLES CHOISIES.

Quite ces bois, et redevien
Au lieu de Loup Homme de bien.
En est-il, dit le Loup ? Pour moi, je n’en voi guere [1].
Tu t’en viens me traiter de bête carnaciere :
Toi qui parles, qu’es-tu ? N’auriez-vous pas sans moi
Mangé ces animaux que plaint tout le Village ?
Si j’étois Homme, par ta foi,
Aimerois-je moins le carnage ?
Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous ;
Ne vous étes-vous pas l’un à l’autre des Loups ?
Tout bien consideré, je te soûtiens en somme,
Que scelerat pour scelerat,
Il vaut mieux être un Loup qu’un Homme ;
Je ne veux point changer d’état.
Ulisse fit à tous une même semonce ;
Chacun d’eux fit meme réponce ;
Autant le grand que le petit.
La liberté, les bois, suivre leur apetit,
C’étoit leurs délices suprêmes :
Tous renonçoient au lôs des belles actions.
Ils croïoient s’affranchir, suivans leurs passions ;
Ils étoient esclaves d’eux-mêmes.
Prince, j’aurois voulu vous choisir un sujet
Où je pûsse mêler le plaisant à l’utile :
C’étoit sans doute un beau projet,
Si ce choix [2] eût été facile,
Les Compagnons d’Ulisse enfin se sont offerts ;
Ils ont force pareils en ce bas Univers :
Gens à qui j’impose pour peine
Vôtre censure et vôtre haine[3].

  1. En est-il ; dit le Loup ? Laissons cette matiere. (Mercure galant.)
  2. Si la chose, dans le Mercure galant.
  3. Dans le Mercure galant, cette fable se termine ainsi :
    Vous raisonnez sur tout ; les Ris et les Amours,
    Tiennent souvent chez vous de solides discours.
    Je leur veux proposer bien-tost une matiere,
    Noble, d’un tres-grand Art, convenable aux Heros.