Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/396

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
A D O N I S .

Une éternelle nuit l’oblige à me quitter[1] ;
Mes pleurs ny mes soûpirs ne peuvent l’arrester.
Encor si je pouvois le suivre en ces lieux sombres !
Que ne m’est-il permis d’errer parmi les ombres !
Destins, si vous vouliez le voir si-tost perir[2],
Faloit-il m’obliger à ne jamais mourir ?
Malheureuse Venus ! que te servent ces larmes ?
Vante-toy maintenant du pouvoir de tes charmes :
Ils n’ont pû du trépas exempter tes amours ;
Tu vois qu’ils n’ont pu mesme en prolonger les jours.
Je ne demandois pas que la Parque cruelle
Prist à filer leur trame une peine eternelle ;
Bien loin que mon pouvoir l’empêchast de finir,
Je demande un moment et ne puis l’obtenir.
Noires divinitez du tenebreux Empire,
Dont le pouvoir s’étend sur tout ce qui respire,
Roys[3] des peuples legers, souffrez que mon Amant
De son triste départ me console un moment.
Vous ne le perdrez point ; le tresor que je pleure
Ornera tost ou tard vostre sombre demeure[4].
Quoy ! vous me refusez un present si leger !
Cruels, souvenez-vous qu’Amour m’en peut vanger.

  1. Manuscrit de 1658 :
    Le cruel ne veut pas seulement m’écouter.
  2. Dans le manuscrit de 1658, on lit, au lieu de ce vers les cinq qui suivent :
    Mais l’enfer à mes yeux se cache vainement,
    Je le trouve par-tout où n’est point mon amant ;
    Destins qui me l’ostez, que vos loix sont barbares !
    Avez-vous pû toucher à des tresors si rares !
    Et puisque vous vouliez le voit si tost perir…
  3. Roy, dans le manuscrit de 1658.
  4. On lit ici, dans le manuscrit de 1658, les quatre vers suivants, supprimés depuis :
    Je sçais que l’Acheron, de nos plaisirs jaloux,
    Ne fait que nous prester les biens qui sont à nous ;
    Ses eaux assez long-temps verront cette belle ombre.
    Que peut faire un moment sur des siecles sans nombre ?