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POEME DU QUINQUINA.

J’en conjure le Dieu qui m’inspire ces vers ;
Je t’en conjure aussi, Pere de l’Univers,
Et vous, Divinitez aux hommes bienfaisantes,
Qui temperez les airs, qui regnez sur les plantes,
Concourez pour luy plaire, empéchez les humains
D’avancer leur tribut au Roy des peuples vains.
J’enseigne là dessus une nouvelle route :
C’est le bien des mortels ; que tout mortel m’écoute.

J’ay fait voir ce que croit l’école et ses supposts :
On a laissé long-tems leur erreur en repos.
Le Quina l’a détruite, on suit des loix nouvelles.
Arriere les humeurs ; qu’elles péchent ou non,
La fievre est un levain qui subsiste sans elles :
Ce mal si craint n’a pour raison
Qu’un sang qui se dilate, et bout dans sa prison.

On s’est formé jadis une semblable idée
Des eaus dont tous les ans Memphis est inondée.
Plus d’un Naturaliste a cru
Que les esprits nitreux d’un ferment prétendu
Faisoient croître le Nil, quand toute eau se renferme
Et n’ose outrepasser le terme
Que d’invisibles mains sur ses bords ont écrit ;
Celle-cy seule échappe, et dédaigne son lit !
Les Nymphes de ce fleuve errent dans les campagnes
Sous les signes brûlans, et pendant plusieurs jours.
D’où vient, dit un Auteur, qu’il enfle alors son cours ?
Le climat est sans pluye ; on n’entend aux montagnes
Bruire en ces lieux aucuns torrens :
En ces lieux nuls ruisseaus courans
N’augmentent le tribut dont s’arrosent les plaines.
Si l’on croit cet Auteur, certain boüillonnement
Par le nitre causé fait ce débordement.
C’est ainsi que le sang fermente dans nos veines,
Qu’il y bout, qu’il s’y meut, dilaté par le cœur.
Les esprits, alors en fureur,
Tâchent par tous moyens d’ébranler la machine.