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Page:La Fontaine - Fables, Livres 10-11-12, Hachette, 1885.djvu/12

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C’est être sot[1]; meurs donc : ta colère et tes dents
Ne me nuiront jamais. » Le Serpent, en sa langue,
Reprit du mieux qu’il put : « S’il falloit condamner
Tous les ingrats qui sont au monde,
A qui pourroit-on pardonner ?
Toi-même tu te fais ton procès[2] : je me fonde
Sur tes propres leçons; jette les yeux sur toi.
Mes jours sont en tes mains, tranche-les; ta justice,
C’est ton utilité, ton plaisir, ton caprice[3] :
Selon ces lois, condamne-moi ;
Mais trouve bon qu’avec franchise
En mourant au moins je te dise
Que le symbole des ingrats
Ce n’est point le Serpent, c’est l’Homme[4], » Ces paroles
Firent arrêter l’autre[5]; il recula d’un pas[6].

  1. 8. Au livre III, fable XIII, vers 25 :

    … Il faut faire aux méchants guerre continuelle.

    Dans le conte III du Castoiement, que nous avons cité, toute différente
    est la morale du père, qui dit à son fils (p. 72-73) :

    Beax filz, ne rent pas mal por mal,
    Por estre au mauvais pas igal.
  2. 9. Locution et tour identiques au livre IX, fable IX, vers 25-26.
  3. 10. « Quel hardi censeur de l’homme que ce Serpent ! » remarque
    Nodier. Il vient de dire là tout le secret de la société. »
    Notons seulement, cela importe, que tout n’est pas juste. Que
    de faux jugements, de vains rêves de reformes naissent de cette
    vue incomplète de la société, où, grâce à Dieu, tout n’est point
    mal, où le bien a aussi sa place !
  4. 11. Coupe expressive, à moitié d’hémistiche, qui fait bien
    ressortir, eh y arrêtant la pensée, la conclusion « C’est
    l’Homme. »
  5. 12. Voyez la note 13 de la page 322 du tome II.
  6. 13. « C’est la surprise de l’Homme, dit Chamfort, qui est cause
    de sa patience et qui l’oblige à écouter le Serpent. » Dans le
    mot l’autre, dont il est déjà parlé note 5, il y a je ne sais quoi de méprisant ; Homme et Serpent se valent. Pas plus de respect ci-après, vers 35, dans le celui-ci de la Vache.