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Après cette excursion, La Fontaine et M. de Châteauneuf regagnent rapidement Châtellerault. "Nous y trouvâmes, écrit le poète, votre oncle en maison d’ami ... et son ami le pria de ne point partir qu’il n’en fût pressé par le valet de pied qui l’accompagnait..." Pourquoi La Fontaine a-t-il omis le "nous" ? Ne serait-ce point justement parce que lui, il n’est pas exilé ?

Enfin, un dernier argument, en faveur du "voyage libre" de La Fontaine, se trouve dans la durée du séjour à Limoges de l’oncle et du neveu. La Fontaine est probablement rentré à Paris en janvier 1664, car le 14 de ce mois il prend un privilège pour ses Nouvelles en vers tirées de Boccace et de l’Arioste , ou du moins vers la fin de la première moitié de l’année, puisque le 8 juillet il entre au service de la Duchesse Douairière d’Orléans. Jannart, en revanche, resta près d’un an et demi en exil, et même peut-être plus de trois années si l’on admet qu’en décembre 1666, il servit à Limoges d’arbitre et de médiateur (conjointement avec Mgr Louis Guron de Rechigne-Voisin, évêque de Tulle) dans le règlement d’un grave litige survenu entre l’évêque du lieu et le chapitre cathédral (1). On ne sait s’il y demeura longtemps après 1666. Son séjour à Limoges fut suffisant en tout cas pour être considéré comme relégation, tandis que celui de La Fontaine ne mérite guère ce nom. Il est vrai que "l’exil, sous l’ancien régime, était souvent une punition momentanée, qui ne correspondait même pas à une disgrâce réelle : simple avertissement, par un éloignement d’autant moins prolongé qu’on s’y résignait avec une soumission plus visible" (2). Mais, nulle part il n’est fait mention d’un acte de repentir de La Fontaine.

Pourquoi alors le neveu a-t-il suivi l’oncle ? Il est impossible de trancher la question. Jusqu’à présent, on n’a pas trouvé de document authentique justifiant l’une ou l’autre hypothèse. Pas une seule fois les Défenses de Foucquet ne font mention du poète. On peut croire pourtant que l’ordre d’exil signifié à Jannart dut faire craindre le pire à La Fontaine. Et, comme beaucoup des anciens amis de Foucquet trouvaient plus prudent de disparaître pour un certain temps de la capitale, le poète estima sage de faire de même. De plus, en accompagnant son oncle, il donnait une preuve d’affection à cet homme, qui passe pour avoir été très bon pour lui (3) et à qui il devait d’avoir connu le Surintendant. N’était-il pas heureux aussi d’avoir une occasion de se séparer de sa femme, Marie Héricart, et de partir à l’aventure ? Nous

(1) J. Aulagne. Un siècle de vie ecclésiastique en province. La réforme catholique du XYIIe siècle dans le diocèse de Limoges. Paris, H. Champion, 1906, in-8 p. 583, (appendice II) : "On rapporte ... qu’à cette même époque (30 déc. 1666), le conflit fut apaisé pour quelques années, par la médiation de Louis Guron de Rechigne-Voisin, évêque de Tulle, et Jacques Jannart, conseiller du roi et substitut du procureur général, près le parlement de Paris*. Cf. Recueil des défenses ... T. XII, p. 91.
(2) A. Bailly. La Fontaine. Paris, A. Fayard, 1937, in-8, p. I40.
(3) G. Saintville se demande si Jannart ne fut pas "tout autre que le bon génie de la tradition". Mélanges d’histoire littéraire ... offerts à J. Bonnerot. Paris, Nizet, 1954, in-4 , p. 155, note 3.