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De promener à l’entour notre vue (76).
J’y rencontrai de si charmants appas (77)
Que j’en ai l’âme encore tout émue*.
Côteaux riants y sont des deux côtés :
Côteaux non pas si voisins de la nue
Qu’en Limousin, mais côteaux enchantés (78),
Belles maisons, beaux parcs, et bien plantés,
Prés verdoyants dont ce pays abonde.
Vignes et bois, tant de diversités
Qu’on croit d’abord être en un autre monde.


Mais le plus bel objet, c’est la Loire sans doute :
On la voit rarement s’écarter de sa route ;
Elle a peu de replis dans son cours mesuré ;
Ce n’est pas un ruisseau qui serpente en un pré.
C’est la fille d’Amphitrite (79),
C’est elle dont le mérite,
Le nom, la gloire et les bords,
Sont dignes de ces provinces
Qu’entre tous leurs plus grands trésors
Ont toujours placé (80) nos princes.
Elle répand son cristal (81)
Avec magnificence* ;
Et le jardin de la France
Méritait un tel canal (82).


Je lui veux du mal en une chose : c’est que, l’ayant vue, je m’imaginai qu’il n’y avait plus rien à voir ; il ne me resta ni curiosité ni désir. Richelieu m’a bien fait changer de sentiment (85).

C’est un admirable objet que ce Richelieu : j’en ai daté (84) ma troisième lettre parce que je l’y ai achevée. Voyez l’obligation que vous m’avez ; il ne s’en faut pas un quart d’heure qu’il ne soit minuit, et nous devons nous lever demain avant le Soleil, bien qu’il ait promis en se couchant qu’il se lèverait de fort grand matin. J’emploie cependant* les heures qui me sont les plus précieuses à vous faire des relations (85), moi qui suis enfant du sommeil et de la paresse. Qu’on me parle après cela des maris* qui se sont sacrifiés pour leurs femmes : je prétends les surpasser tous, et que vous ne sauriez vous acquitter envers moi, si vous ne me souhaitez d’aussi bonnes nuits que j’en aurai de mauvaises avant que notre voyage soit achevé (86).

A Richelieu, ce 3 Septembre 1663.