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54.

LETTRE IV

Nous arrivâmes à Amboise (1) d’assez bonne heure, mais par un fort mauvais temps : je ne laissai pas d’employer le reste du jour à voir le château. De vous en faire le plan, c’est à quoi je ne m’amuserai point, et pour cause (2). Vous saurez, sans plus, que devers (5) la ville il est situé sur un roc, et paraît extrêmement haut (4). Vers la campagne* le terrain d’alentour est plus élevé. Dans l’enceinte il y a trois ou quatre choses fort remarquables. La première est ce bois de cerf dont on parle tant, et dont on ne parle pas assez selon mon avis : car, soit qu’on le veuille faire passer pour naturel ou pour artificiel, j’y trouve un sujet d’étonnement presque égal. Ceux qui le trouvent artificiel tombent d’accord que c’est bois de cerf, mais de plusieurs pièces : or le moyen de les avoir jointes sans qu’il y paraisse de liaison ? De dire aussi qu’il soit naturel, et que l’Univers ait jamais produit un animal assez grand pour le porter, cela m’est guère croyable. (5)

Il en sera toujours douté,
Quand bien (6) ce cerf aurait été
Plus ancien qu’un patriarche
Tel animal , en vérité,
N’eût jamais su (7) tenir dans l’Arche.


Ce que je remarquai encore de singulier, ce furent deux tours bâties en terre comme des puits (8) : on a fait dedans des escaliers en forme de rampes par où l’on descend jusqu’au pied du château ; si bien qu’elles touchent, ainsi que les chênes dont parle Virgile (9),

D’un bout au ciel, d’autre bout (10) aux enfers.


Je les trouvai bien bâties, et leur structure me plut autant que le reste du château nous parut indigne de nous y arrêter. Il a toutefois été un temps qu’on le faisait servir de berceau à nos jeunes rois (11) ; et, véritablement, c’était un berceau d’une matière assez solide, et qui n’était pas pour se renverser si facilement. Ce qu’il y a de beau, c’est la vue (12) ; elle est grande, majestueuse, d’une étendue immense ; l’oeil ne trouve rien qui l’arrête ; point d’objet qui ne l’occupe le plus agréablement du monde. On s’imagine découvrir Tours, bien qu’il* soit à quinze ou vingt lieues (13) ; du reste, on a en aspect (14) la côte la plus riante et la mieux diversifiée que j’aie encore vue, et au pied d’une prairie* (15) qu’arrose la Loire, car cette rivière passe à Amboise.

De tout cela le pauvre M. Foucquet (16) ne put jamais, pendant son séjour, jouir (17) un petit moment : on avait bouché toutes les fenêtres de sa chambre et on n'y avait laissé qu’un trou par le haut (18). Je demandai de la voir (19)* : triste plaisir, je