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Page:La Grande Revue, Vol 51, 1908.djvu/768

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journalière ; car la pratique l’intéresse singulièrement plus que la théorie.

Ce principe va déterminer l’attitude de cet « individu » envers l’État. Il ne condamnera pas toute autorité et toute loi à l’instar des anarchistes. Mais il n’admettra pas que l’État franchisse certaines limites. Il admettra, par exemple, que l’État ait le droit de punir celui qui trouble un service religieux, mais non celui de contraindre quelqu’un à pratiquer une religion. L’État aura le droit de punir la violence et la séduction, mais non d’empêcher qu’une femme adulte se donne par amour et avec pleine conscience. L’État imposera pour des raisons de santé publique un repos hebdomadaire, mais ne pourra empêcher personne d’employer ce jour à sa guise, en astreignant, par exemple, à entendre un office religieux. L’État fera des lois pour protéger les faibles, souvent contre leur propre faiblesse ; mais il laissera aux forts la libre disposition de leur individualité.

De ce même point de vue, Ellen Key condamne à la fois le capitalisme et le socialisme. « L’individualiste voit dans le capitalisme et l’industrialisme de nos jours malgré la faculté de développement intense qu’ils ont procuré à quelques individus le grand obstacle à la liberté de la personnalité. Le capitalisme est, au fond, aussi destructeur de vie et hostile à la culture individuelle que le militarisme, qui permet bien à quelques individus de se développer, mais fait des autres des hommes de troupeau. L’individualiste peut donc mettre son espoir en une législation qui supprimera l’abus de la liberté que le capitalisme a créé sous sa forme actuelle. Mais il hait l’idée d’un nouvel abus qui se produirait si les parcelles se fondaient dans le tout, devaient même être sacrifiés à la totalité comme le réclament les socialistes. » Car à y regarder de près « la morale altruiste qu’elle soit chrétienne, positiviste ou socialiste présente le même vice : elle considère comme vertueux ce qui est utile immédiatement à autrui, et comme immoral tout ce qui lui nuit immédiatement. » Tandis qu’en réalité ces actions peuvent devenir réciproquement funestes ou bien utiles et que la vraie morale est celle de l’individu.

Les féministes commettent une erreur du même genre. Leurs revendications n’ont rien que de légitime. Sans aucun doute, les lois ont rendu impossible le développement de la personnalité