Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 23.djvu/274

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teur. « Tandis que nous étions entre les grandes Cyclades, quelques affaires m’avaient appelé à bord de l’Étoile, et j’eus occasion d’y vérifier un fait assez singulier. Depuis quelque temps il courait un bruit dans les deux navires que le domestique de M. de Commerson, nommé Baré, était une femme. Sa structure, le son de sa voix, son menton sans barbe, son attention scrupuleuse à ne jamais changer de linge ni faire ses nécessités devant qui que ce fût, plusieurs autres indices avaient fait naître et accréditaient ce soupçon. Cependant comment reconnaître une femme dans cet infatigable Baré, botaniste déjà fort exercé, que nous avions vu suivre son maître dans toutes les herborisations, au milieu des neiges et sur les monts glacés du détroit de Magellan, et porter même dans ces marches pénibles les provisions de bouche, les armes et les cahiers de plantes avec un courage et une force qui lui avaient mérité le nom de béte de somme ? Il fallait qu’une scène qui se passa à Taïti changeât le soupçon en certitude. M. de Commerson y descendit pour herboriser : à peine Baré, qui le suivait avec les cahiers sous son bras, eut mis pied à terre, que les Taïtiens l’entourent, crient que c’est une femme, et veulent lui faire les honneurs de l’île. L’officier qui était de garde à terre fut obligé de venir à son secours et de l’escorter jusqu’au canot. Depuis ce temps il était difficile que les matelots n’alarmassent pas quelquefois sa pudeur. Quand je fus à bord