Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 23.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Étoile, Baré, les yeux baignés de larmes, m’avoua qu’elle était fille ; elle me dit qu’à Rochefort elle avait trompé son maître en se présentant à lui sous des habits d’homme au moment même de son embarquement ; qu’elle avait déjà servi comme laquais un Genevois à Paris ; que, née en Bourgogne, la perte d’un procès l’avait réduite dans la misère, et lui avait fait prendre le parti de déguiser son sexe ; qu’au reste elle savait en s’embarquant qu’il s’agissait de faire le tour du monde, et que ce voyage avait piqué sa curiosité. Elle sera la première, et je lui dois la justice qu’elle s’est toujours conduite à bord avec la plus scrupuleuse sagesse. Elle n’est ni laide ni jolie, et n’a pas plus de vingt-six pu vingt-sept ans. Il faut convenir que, si les deux vaisseaux eussent fait naufrage sur quelque île déserte de ce vaste océan, la chance eût été fort singulière pour Baré. »

Reprenons la suite du voyage. Depuis le 29 mai que Bougainville avait cessé de voir la Terre du Saint-Esprit, ou les grandes Cyclades, il cinglait à l’ouest entre le quinzième et le seizième parallèle, lorsque, dans la nuit du 4 au 5 de juin, à la faveur de la lune, il aperçut dans le sud, à une demi-lieue de distance, des brisans et une côte de sable très-basse. Il prit ses amures sur le bord opposé, et au point du jour, il se remit en route pour venir reconnaître la terre, dont la prudence l’avait obligé de s’éloigner pendant la nuit. C’était un petit