Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 5.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grettait d’avoir entrepris le voyage. Son chagrin croissant d’autant plus qu’il s’efforçait de le cacher. Un jour qu’il avait demandé au corsaire dans quel lieu il croyait être, il en reçut une réponse si mal conçue, qu’il le soupçonna d’avoir perdu le jugement, ou d’ignorer le chemin dans lequel il nous avait engagés ; cette idée le rendit furieux. Il l’aurait tué d’un poignard qu’il avait toujours à sa ceinture, si quelques amis communs n’eussent arrêté son bras, en lui représentant que la mort de ce malheureux assurait notre ruine. Il modéra sa colère ; mais elle fut encore assez vive pour le faire jurer sur sa barbe que, si dans trois jours le corsaire ne levait tous ses doutes, il le poignarderait de sa propre main. Cette menace causa tant de frayeur à Similau, que la nuit suivante, tandis qu’on s’était approché de la terre, il se laissa couler du vaisseau dans la rivière ; et son adresse lui ayant fait éviter la vue des sentinelles, on ne s’aperçut de son évasion qu’en renouvelant la garde.

» Un si cruel événement mit Faria comme hors de lui-même. Il s’en fallut peu que les deux sentinelles ne payassent leur négligence de leur vie. À l’instant il descendit au rivage avec la plus grande partie des Portugais ; toute la nuit fut employée à chercher Similau. Mais il nous fut impossible de découvrir ses traces ; et notre embarras devint encore plus affreux lorsque étant retournés à bord, nous trouvâmes que, de quarante-six matelots chinois qui