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abîmer au milieu des flots ; mais ce projet désespéré ne put nous réussir. Le vent, qui changea bientôt au nord-ouest, éleva des vagues furieuses qui nous rejetèrent malgré nous vers la haute nier. Alors nous commençâmes à soulager nos vaisseaux de tout ce qui pouvait les appesantir, sans épargner nos caisses d’or et d’argent. Nos mâts furent coupés, et nous nous abandonnâmes à la fortune pendant le reste du jour. Vers minuit, nous entendîmes dans le vaisseau de Faria les derniers cris du désespoir. On y répondit du nôtre par d’affreux gémissemens. Ensuite n’entendant plus d’autre bruit que celui des vents et des vagues, nous demeurâmes persuadés que notre généreux chef et tous nos amis étaient ensevelis dans l’abîme. Cette idée nous jeta dans une si profonde consternation, que pendant plus d’une heure nous demeurâmes tous muets. Quelle nuit la douleur et la crainte nous firent passer ! Une heure avant le jour, notre vaisseau s’ouvrît par la contre-quille, et se trouva bientôt si plein d’eau, que le courage nous manqua pour travailler à la pompe. Enfin nous allâmes choquer contre la côte ; et déjà presque noyés comme nous l’étions, les vagues nous roulèrent jusqu’à la pointe d’un écueil qui acheva de nous mettre en pièces. De vingt-cinq Portugais, quatorze se sauvèrent. Le reste, avec dix-huit esclaves chrétiens et sept matelots chinois, périt misérablement à nos yeux.