Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/116

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—ro8— sous l'influx, de jour en jour plus puissant, des courants français et anglais, la sève nationale s'adultère en des mélanges d'où surgira peut-être une nou velle fleur de vie. Grand maître, disons-nous, et non petit maître, comme nous dirions s'il ne dépassait pas la perfection du métier qu'on a coutume d'admirer exclu sivement en lui. Nous ne saurions louer un virtuose pur qu'en nous rat trapant par des épithètes ravalantes, insuffisante compensation pour la méconnaissance du principe même de l'art et des subordinations essen tielles. Mais chez De Braekeleer l'art de peindre fut l'art d'exprimer l'invisible par le visible, et c'est bien l'âme de sa race qui a chanté en lui son plain- chant retrouvé, dont un pressentiment de silence futur semble intensifier encore la tristesse natale. Inconscient sans doute de l'exacte portée de son œuvre, il n'en a pas moins été le siège d'une incarnation, le centre d'une polarisation, l'instrument presque instinctif d'une sublimation. Il a reçu la royale investiture de toutes les vertus déjà latentes et résorbées en ceux de son peuple, qui auraient reconnu en lui le vrai sang des aïeux, s'ils n'étaient eux-mêmes anémiés. Dès le premier regard jeté sur l'ensemble des œuvres de Henri De Brae keleer, cette impression s'empara de nous. Tout d'abord, une émotion ner veuse nous étreignit, une volupté presque douloureuse du regard ébloui où convergeaient de toutes parts des effluves d'or. L'or s'allumait, brasillait, ruisselait; nul peintre ne s'était jamais revêtu de pareille splendeur fauve, de cette rutilance ardente et passionnée. Dans sa lumière à base d'or et d'ambre, c'était comme un étincellement de joyaux et d'orfèvreries, l'éclat des émaux, l'orient des perles, le luxe des nielles et des ciselures, les gemmes translucides des verrières. N'était-ce pas là le vrai peintre anversois de l'époque impériale de Charles-Quint, mais venu trop tard, n'était-ce pas un Renaissant superbe transporté hors de son siècle, tout épris de la gloire solaire, des rayonnements et des flamboiements ? Et le despotisme de cette sensation s'imposa, en même temps que le souvenir analogique des beaux vers où Albert Giraud a enfermé avec elle, comme De Braekeleer dans ses tableaux, la nostalgie d'une âme exilée de son temps : O cuirs couleur de feu, d'automne et de victoire ! Quiflambe\ dans la nuit d'un antique oratoire OU la lourde splendeur des jours passés s'endort. Mystérieux et roux comme de grands lacs d'or'; O cuirs couleur de soir, de faste et d'épopée!...