Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/117

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—1o9— Le Joueur de cor, l'Atelier, la Femme à la portière, la Toilette, le Repas, le Géographe, la Salle de la corporation des brasseurs, la Partie de cartes, partout De Braekeleer affirme le même amour de la couleur exaltée, orgueilleuse, dans l'extraordinaire profusion des choses colorées puissam ment, des étoffes éclatantes brodées d'or, des merveilleux tapis chatoyants, des tentures de vieux cuir fleuri d'or, dans l'harmonie large de leurs vibra tions, dans l'énergique retentissement des notes fondamentales reliées par l'infinie délicatesse des demi-teintes les plus rompues, des plus instables dégradations. Avant de penser aux lignes, au sujet, à l'atmosphère, à n'im porte quoi, impossible de ne pas entrer sympathiquement dans la vision du peintre. Fasciné comme lui par l'indicible et adorable beauté des teintes vermeilles, saturées d'or, on écoute à l'intérieur de soi l'ample musique qui sort de ce monde élu par lui et qui submerge l'âme pâmée sous le déroule ment de ses nappes sonores. De Braekeleer a aimé la couleur pour elle-même et préféré la couleur chaude entre toutes : il n'a jamais, croyons-nous, sauf en quelques paysages négligeables au regard de ses autres œuvres, établi les bleus, les verts, les violets, comme dominantes d'un tableau. En général, chez lui le tableau est issu d'une impression spéciale de couleur ; le sujet et la compo sition ne viennent qu'après et s'y subordonnent. Cela est un trait, le trait le plus net peut-être, de la peinture flamande et de la peinture hollandaise, qu'il ne faut pas, sur ce point, séparer. C'est peu de dire ici que De Brae keleer est de sa race, il faut ajouter qu'il la résume. De cet amour contemplatif et jamais rassasié de la couleur et de sa cou leur de prédilection, procède sa constante fraîcheur de sensation : l'amour revient à son objet avec des yeux toujours neufs, toujours éblouis. Jamais De Braekeleer ne s'est ennuyé sur un tableau ; après une ébauche où il pose en une séance le thème fondamental (voyez la Servante, la Dame en jaune, qui sont restées dans cet état), il reprenait chaque partie pour la pousser d'un coup à fond, sans défaillance d'enthousiasme : pour rappeler un mot assez plaisant, nous n'en savons rien, mais nous en sommes sûr. Le travail n'est pas trop nourri, sauf peut-être dans certaines parties du Joueur de cor et de la Femme à la portière. La facture est calme, savante, impertubable, chaque détail inspiré par le sentiment et traduit en une touche heureuse. Jamais De Braekeleer n'a recommencé le même tableau, bien qu'il ait peint vingt fois le même tapis, la même tenture de cuir gaufré d'or, le même tabouret d'atelier, les mêmes étoffes, le Fmême corsage jaune rayé de noir : s'il se reprend, comme Jordaens, Rubens et tant d'autres aux mêmes sujets, faiblement modifiés, il y apporte un entrain