—III— noircie, morte, est abandonnée aux outrages des passants [stupides qui y inscrivent leur nom et l'entaillent à coups de canif pour en emporter des lambeaux. Dans une chaise, sous la statue de Saint-Arnulphe, patron des brasseurs, et son haut cierge de cire séculaire, De Braekeleer a accoudé la vague rêverie d'un vieux bonhomme, ce lent songeur désœuvré qu'on retrouve ailleurs descendant l'escalier de cette même maison, qui reparaît dans l'Homme à la fenêtre, dans l'Amateur de tableaux, dans la Salle des évêques, et qui est, ce hanteur des logis de silence, comme le peintre lui- même enfoncé dans sa morose méditation visionnaire. Mais il n'a pu se résigner à l'attristante vétusté de cette salle devenue morne aujourd'hui. La lumière même, si belle, d'un blond si chaud, quand elle passe à travers les carreaux des hautes fenêtres, ne peut voiler d'une illusion de magnifi cence l'irréparable délabrement ; mais De Braekeleer n'a pas consenti à cette décrépitude : allumant les ors les plus riches de sa palette, évoquant l'âme endormie de la couleuf, il a ressuscité la chambre, et lui a restitué sa vieillesse solennisée. L'éclat prestigieux, le rendu surprenant de justesse et de puissance, une aisance incomparable dans la manœuvre, une exactitude sans petitesse, toutes ces qualités de l'œil et de la main, De Braekeleer les a eues autant que quiconque des vieux Flamands et des vieux Hollandais, ses authentiques ancêtres. Mais il n'a pas, comme d'autres qui furent injustement placés à un rang supérieur et que l'avenir remettra à leur place, comme les Meissonier et les Willems par exemple, refait froidement l'œuvre des anciens; il a fait, comme les anciens, ce qu'il a vu autour de lui, ce qu'il a senti lui-même, et par là il est moderne, tout en se nouant fortement à la tradition. De l'âme flamande, il a la somnolence, le recueillement et l'intimité. Ce n'est pas un peintre du mouvement et de l'action, comme Rubens par exemple, qui, dans l'école, est l'artiste le plus retentissant, mais aussi, à notre sens, le plus exceptionnel, le plus éloigné du 'tronc central, le plus éclectique, le plus hybride, et parmi les tout grands, le moins représentatif. Les personnages de Henri De Braekeleer, ses Liseuses, ses Hommes à la fenêtre, l'Amateur de tableaux, l'homme de l'Atlas, la Fleuriste, le Méné trier, l'homme de la Salle des évêques, tous les autres, sont pris au repos, immobiles et souvent désoccupés. S'il en est qui ébauchent un geste, comme dans le Carillon, dans le Repas, dans la Femme à la portière, le geste demeure suspendu. Les deux portraits qu'on put voir à Anvers, les portraits des sœurs, toutes jeunes, de l'artiste, sont devrais gothiques flamands, non seulement par l'exécution, mais encore dans la composition, dans le moment où il a arrêté les lignes : ils ne parlent pas, ils rêvent, et l'un d'eux surtout
