Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/122

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—ii4— sur l'art du voisin, abandonnent soudain la voie dans laquelle ils étaient engagés pour couper par les traverses et se lancer dans une autre direction. Les manières marquées nettement décèlent souvent l'absence d'un guide intérieur, vue réfléchie ou instinct puissant, et l'introduction fortuite d'une influence dans la vie d'un peintre. Or, De Braekeleer n'a jamais regardé ce que l'on faisait à côté de lui. Il a suivi sa ligne, sans se préoccuper, sans s'inquiéter. Ce n'est pas un agité, c'est un assuré, un tenace, qui va comme quelqu'un qui sait où il a reçu mission d'aller. Sans doute, des peintres ses contemporains qu'il a vus, il n'a vraiment aimé que Leys, avec qui il com muniait dans sa race, et non pas le Leys romantique, mais le Leys de la plus belle période, le Leys en possession de ses propres facultés. Parmi les anciens on cite justement Pieter De Hooghe et Van der Meer de Delft, mais on ne doit pas croire qu'il les ait imités. Ces deux peintres, très divers entre eux dans la composition du coloris, il en diffère profondément. Il s'est seule ment rencontré avec leur âme, aboutissant par de tout autres moyens à une expression analogue, avec en plus la nuance de sentiment que nous avons essayé de caractériser. Le principe des transformations de Henri De Braekeleer est en lui-même, disons-nous, dans sa nature foncière. Ses toiles de début attestent un peintre amoureux des teintes pleines et fortes, à preuve le Jardin de fleuriste et la Blanchisserie, en même temps qu'un observateur analytique, épris du détail, s'appliquant au scrupuleux rendu de la forme et de la physionomie de chaque objet : voyez le Cordonnier, le Chaudronnier, la Frileuse, un Intérieur de cabaret. Mais la lumière, généralement égale, ne joue encore aucun rôle, ou aucun rôle important dans le tableau. La précision aiguë du contour entraîne parfois la sécheresse, la dureté, et ce défaut persiste dans quelques tableaux de l'époque suivante, comme dans le Montreur d'oiseaux. Mais ici s'est révélée l'intervention d'un facteur nouveau, la lumière, qui est un élément fondamental de composi tion dans le Graveur, le Broyeur, le Fumeur et d'autres toiles de cette famille, où l'on peut observer la lutte entre l'instinct qui cherche l'exaltation des teintes et l'observation qui constate, dans l'éclairage très vif, la froideur et la décoloration. De Braekeleer a vite fait de choisir et d'établir l'équi libre nécessaire; il échauffe sa lumière, la tamise, la sature de pulvérin d'or, multiplie les tentures et les étoffes orfévrées, les objets de matière luisante, verreries, cristaux, porcelaines, argenteries, où s'iriseront des miroitements, où flamboieront des éclairs. C'est la période d'éclat, de splendeur triomphante, qui commença tôt, mais dont il nous est difficile de préciser le moment, les tableaux de De Braekeleer n'étant que rarement