Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/133

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—125— M . DeJgouffre, le dévoué secrétaire du Cercle et l'infatigable organisateur de ses succès, amoureux plus que jamais des jolis petits coins de solitude et de silence, a mis de la poésie dans son Calme du soir et de l'éclat lumineux dans les feuillages de son Chemin couvert. L'un des meilleurs peintres du Voortvaarts est assurément M. Gilsoul, qui a une prédilection marquée pour les effets crépusculaires et nocturnes, où éclatent vivement de soudaines notes claires : nous espérons cependant que son grand succès de cette année ne lui persuadera pas de recommencer trop souvent le même tableau. La Nuit naissante, un des bassins de Bruxelles dont les quais au loin s'illuminent; Silence, un fleuve avec un bateau endormi dans les ténèbres ; Nuit de juillet, un canal éclairé par la lune; la Courbe, l'approche terrifiante d'un train de nuit dans une tranchée, sous un ciel farouche ; Harmonie d'automne , une symphonie de rouge et de bleu, autant de pages amples et puissantes, d'un sentiment largement épandu. Les ciels particulièrement sont grands, aérés et profonds; mais quelquefois on observe trop de lourdeur dans les gammes sombres et une certaine pauvreté dans les noirs, qui font trou. Ni M. Gouweloos ni M. Ottevaere ne se prouvent coloristes dans leurs uniformes paysages imaginatifs, baignés dans des ombres opaques. Mais le Portrait de Mile M. G. du premier, le Portrait de ma mère du second sont des recherches attentives et pénétrantes de physio nomies et d'ensembles, qui dépassent la reproduction exacte des modèles. M. Jules Du Jardin a un portrait d'enfant d'un grand charme, où il a mis quelque chose du style et de la manière de M. Khnopff. L'harmonie des chairs, du vêtement, du mur blanc et uni qui sert de fond est tout à fait délicate; la pose très étudiée, est vivante, gracieuse et nouvelle; le dessin, d'une grande précision. Un pastel de M. Rotthier, un dos de femme avec une draperie, attire l'attention par sa coloration savoureuse. Une certaine tendance littéraire s'affirme chez plusieurs peintres du Voortvaarts, comme aussi chez un sculpteur, M. Puttemans. Elle domine presque exclusivement dans l'envoi de M. Middeleer : une allégorie, trop compliquée, des vices, qui s'intitule les Fleurs du mal, sans justifier préci sément une aussi audacieuse usurpation; l'illustration de la scène finale du Saint Julien l'hospitalier de Flaubert, qui n'est qu'un essai malheureux ; une Mort inutilement encombrée d'accessoires puérils et d'une mise en scène macabre. M. Middeleer à d'évidentes ressources d'imagination, mais jusqu'à présent il étale ses intentions au lieu de se concentrer, il aigrit et anémie sa couleur sous prétexte d'en faire un moyen d'expression ; dans les physionomies il n'arrive pas à dépasser la banalité; au mysticisme il joint un réalisme très analytique qui le contrecarre et introduit dans l'œuvre un élément de désharmonie. On dirait qu'elle ne procède pas chez lui d'une impression ou d'une série d'impressions visuelles, mais tout au rebours d'une idée nue, qu'il s'efforcerait de concrétiser. Quoi qu'il en soit, M. Mid deleer est un artiste chercheur, intelligent, qui tente de mettre dans ses œuvres quelque chose de plus que l'apparence des objets, une signification intellectuelle et un reflet d'âme; cette tendance n'est assurément pas de celles qu'il faut décourager.