Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/159

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—15r— LE ROI SKULE — ENSUITE UN VARLET SKULE (après une pause). — Cet Islandais est bien un skalde. Il exprime, à son insu, la plus profonde vérité de Dieu. Je suis comme une femme stérile. C'est pourquoi j'aime la pensée royale conçue par Hakon, et l'aime du plus ardent amour de mon âme. 0 ! que ne puis-je l'adopter! Mais l'enfant mourrait sous ma tutelle. Vaut-il mieux qu'il meure sous ma main ou qu'il vive sous la sienne? Et si ce dernier est le cas, mon âme trouvera-t-elle jamais le repos? La renonciation m'est-elle permise? Puis-je consentir, en simple témoin, à ce que Hakon se conquière un pareil titre à l'admiration de la postérité? Quelle mort, quel vide en moi — et aussi autour de moi! Pas un ami — l'Islandais! (Il va vers la porte du fond et s'écrie :) Le skalde a-t-il déjà quitté le palais? UN VARLET (au dehors). — Non, Sire, il parle aux gardes dans l'anti chambre. SKULE. — Dis-lui de venir me trouver. (Il s'assied devant la table.) LE ROI SKULE — IATGEIR SKULE. — Il m'est impossible de dormir, Iatgeir; vois, toutes ces graves pensées royales prolongent ma veille... IATGEIR. — Je constate qu'il en est des pensées du roi comme de celles du skalde. Lorsque régnent le silence et la nuit, leur essor est le plus puissant et leur floraison la plus glorieuse... SKULE. — Il en va donc de même du skalde? IATGEIR. — Oui, Seigneur, aucun chant ne naît à la clarté du soleil; c'est tout au plus si on l'ébauche pendant le jour; pour l'achever, il lui faut le silence de la nuit. SKULE. — Qui te procura le don de la douleur, Iatgeir? IATGEIR. — Celle que j'aimais. SKULE. — Elle est morte? IATGEIR. — Non, elle se détacha de moi. SKULE. — Et tu devins skalde? IATGEIR. — Alors je devins skalde. SKULE (le prenant par le bras). — Quel don me manque pour devenir Roi? IATGEIR. — Ce n'est pas le doute, pour sûr; sinon tu ne m'interrogerais pas.