I52 — SKULE. — Dis, quel don me manque alors? IATGEIR. — Mais, Sire, vous êtes Roi. SKULE. — Est-on certain à toute heure d'être Roi? IATGEIR (le considère un instant en silence, puis lui demande :) — N'avez-vous jamais aimé? SKULE. — Oui, une fois — avec ardeur, avec tendresse — jusqu'à l'adultère... IATGEIR. — Vous avez une épouse... SKULE. — Je la pris dans l'espoir qu'elle me donnerait des garçons. IATGEIR. — Vous possédez tout au moins une fille, Seigneur, — une douce, une adorable fille. SKULE. — Si ma fille était un garçon, je ne te demanderais pas quel don me manque. (En criant, sauvage.) Il me faut auprès de moi quelqu'un qui m'obéisse sans avoir de volonté propre, — qui croie inébranlablement en moi, qui tienne pour moi quoique je fasse de bien ou de mal, qui ne vive que pour répandre dans ma vie des rayons de lumière et de chaleur, et qui doive mourir lorsque je tomberai! Donne-moi un conseil, skalde! IATGEIR. — Achetez-vous un chien, seigneur. SKULE. — Ne suffirait-il pas d'un homme? IATGEIR. — Il vous faudra chercher longtemps un homme de cette espèce. SKULE (subitement). — Sois-moi cet homme, Iatgeir. Sois-moi ce fils! La couronne de Norwège sera ton héritage, tu posséderas le pays et le royaume, si tu consens à m'être un fils, à vivre pour mon œuvre et à croire en moi? IATGEIR. — Et quelle garantie pourrais-je te donner, que je ne joue pas la comédie ? SKULE. — Renonce à ta vocation; ne rime plus — et je croirai en ta sincérité. IATGEIR. — Non, seigneur, — ce serait là acheter trop cher la cou ronne. SKULE. — Réfléchis bien. Etre roi, c'est être plus que skalde! Iatgeir. — Pas toujours. SKULE. — Je ne te demande que le sacrifice de tes chants inédits .. IATGEIR. — Ceux qui restent à chanter sont toujours les plus beaux! SEULE. — Et pourtant il me faut un homme, — il me le faut, entends- tu, — qui croie en moi! Un seul ! L'indispensable! Je le sens, — si je tiens cet homme, je suis sauvé! IATGEIR — Croyez en vous-même, et vous serez sauvé !
