Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/168

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—i6o— la mauvaise foi de certains journaux. On y retrouve aussi le lettré qui ose préférer, en public, l'art d'Irving et des Meininger à celui des grands cabo tins qu'encense notre basse et moutonnière critique. L'humouriste y apparaît gaillard et franc, et sa bonhomie est doucement contagieuse. J'ai noté surtout quelques jolis portraits, qui forment une galerie originale, où MmeAdam fait face au cardinal Manning, le fougueux journaliste Moressée au duc d'Aumale et Mistral à Arthur Stevens. Ames fidèles au Mystère, de M.Adolphe Frères, est un recueil de contes en prose écrit par un poète. Nos lecteurs n'ont certes pas oublié les vers par lesquels M. Adolphe Frères débuta naguère dans la Jeune Belgique, et peut-être cette infidélité à la langue natale du jeune écrivain les surprendra- t-elle un peu. J'espère bien qu'elle sera passagère, et certaines pages du livre en prose me renforcent dans cet espoir. Ce n'est pas que j'aie le moindre mépris pour le conte ou pour la nou velle. Au contraire : j'adore les récits légers, la prose agile qui court sur la pointe de la plume et qui ne pèse pas sur le papier. Mais pour manier cette langue-là, il faut un esprit vif et prime-sautier et une désinvolture native qui manquent souvent à nos poètes. Une des tentatives de M. Frères : Le Der nier mot d'Albin Barbassou, n'est pas très heureuse. La phrase en est lourde et l'esprit laborieux. Par contre, les pages où l'écrivain se rapproche du poème en prose se recommandent par une écriture plus nette, plus souple et plus caractéristique. Telles la Tristesse de Jésus et surtout le Massacre des Innocents, qui me semble le meilleur morceau du livre. Mais quoi qu'il en soit, des habitudes de poète transparaissent sous les périodes du prosateur. Chaque fois que M . Adolphe Frères dessine une jolie phrase, chaque fois qu'il accroche un sentiment ou une idée au clou d'or d'une image choisie, on se surprend à regretter qu'il ne se soit pas servi de la rime et du rhythme. Et comme les trouvailles abondent, comme l'écrivain est d'une belle richesse imaginative, et que sa délicatesse d'oreille et de doigté se révèlent à chaque instant, le regret s'accentue et domine l'impression de l'œuvre. Ames fidèles au Mystère — ce titre n'est guère justifié par l'ensemble du livre — renferme deux ou trois contes remarquables, d'une langue exquise et fine, et qui nous promettent de très beaux poèmes. J'espère que M. Adolphe Frères ne nous les fera pas trop longtemps attendre. ALBERT GlRAUD