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Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/185

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—i77— souvenirs sur le Journal des Débats, une foule d'allocutions, de discours et de toasts retrouvés, paraît-il, dans des journaux, une réponse au discours de réception à l'Académie de M. Jules Claretie, quelques réflexions critiques sur George Sand, sur Cousin, sur Mme Cornu et sur Victor Hugo, une étude sur Amiel, et, en guise de conclusion, un examen de conscience philo sophique, dont la Revue des Deux Mondes eut la primeur, et qui est le morceau caractéristique de ce livre modeste, papelard et insinuant. On connaît les opinions littéraires de M. Ernest Renan, qui professe qu'il faut se contenter de la langue du XVIIe siècle. L'auteur de l'Abbesse de Jouarre s'imagine que son « écriture » onctueuse, déliée, dont les fleurs pâles n'ont aucune vigueur, et qui a parfois le joli bruit monotone d'une fontaine jaillissant d'un bénitier, se rattache à la langue de La Bruyère, de Racine et de Saint-Simon. Cette rhétorique blanche de séminariste ou de prêtre replet ne ressemble en rien à la manière nerveuse et forte des classi ques. Le vocabulaire de M. Ernest Renan est du XVIIe siècle, peut-être; mais son style n'est qu'une application, d'ailleurs très adroite, du style de la décadence de l'Eglise catholique à la fin du XIXe. Les pages critiques des Feuilles détachées, sauf l'étude sur Amiel, ne méritent guère qu'on les analyse. L'opinion de M. Ernest Renan sur l'œuvre de Hugo n'intéresse personne, car on sait, depuis longtemps, qu'il tient George Sand pour un grand génie. Ses effusions oratoires sont plus intéressantes que ses critiques. M. Ernest Renan parle de tout, sur tout, à propos de tout, avec une abondance féminine. Il est Breton, et rien de ce qui arrive en Bretagne ne lui est étran ger. Si les Bretons inaugurent une statue, M. Ernest Renan tire de sa poche le discours que l'on attendait. Si les Bretons se réunissent pour dîner, M. Renan, au dessert, célèbre les réunions où l'on mange. Les Bretons jeûneraient, M. Renan ne serait pas embarrassé : il vanterait les repas où l'on ne mange point. Si quelque étranger de distinction traverse la Bretagne, M. Renan le guette à Rosmapamon, et lui adresse une allocu tion écrite. Partout où M. Quellien dine, M. Renan parle. Les Bretons sont célèbres par leur entêtement. Ce que M. Renan a de plus breton, c'est son entêtement à discourir. Aussi ce Breton bretonnant se fait-il entendre au banquet des Félibres qui, dans son toast, devient une manière de Cron- stadt entre le royaume d'Iset le royaume d'Arles. Je n'insisterais pas sur cette manie, en somme innocente, et que M.Ernest Renan partage avec de belles âmes, si je n'y voyais l'indice d'un curieux état d'esprit. M. Ernest Renan, pour lequel il n'est pas de petites choses, sauf quelques grandes, éprouve non seulement la démangeaison de parler en public, mais il désire porter la parole d'une manière officielle, au nom de l'art, de la science, ou de la philosophie. Il aime à représenter. Ils s'est donné le mandat de représenter les lettres françaises, la pensée française, et la France elle-même, dont il se croit à la fois l'avoué et le directeur de conscience. Il a son balcon, sa tribune ou sa chaire où il apparaît avec joie, pour donner le diapason de France à tous les violonistes de l'esprit français. Il rêve l'espèce de magistrature suprême exercée naguère par