Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/186

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—178— Hugo. Mais Hugo, dans ses revendications sonores, plaidait pour l'huma nité, M. Renan n'a point sauvé de Barbès, que je sache, et je le soupçonne de plaider pour le plaisir, avec le désintérêt absolu de tout ce qui n'aug mente pas la volupté intérieure de la plaidoirie. Le malheur des orateurs — je prends le mot au sens le plus large — c'est que, pour jouir de leurs précieuses facultés, ils doivent comprendre leur auditoire, l'auditoire qu'ils n'ont pas choisi. Et dans ce sens-là, hélas! com prendre, c'est égaler. Pour porter officiellement la parole devant des foules, même au figuré, il faut descendre jusqu'à elles, et, si l'on n'a pas la force aquiline de les ravir pour les élever, il faut leur plaire, leur sourire, leur faire de doux yeux et devenir miroir. M. Ernest Renan est un miroir à foules. Et c'est le désir de n'être pas brisé qui le rend si indulgent, si passif, si prêt à excuser les choses basses, si pas à les colorer. C'est pour ce motif qu'il s'est fait le théoricien de l'incertitude, le négateur de toute négation, le philosophe à deux masques, le chanteur de cantiques qui finissent sur une impiété voltairienne, et le flûtiste d'ironies qui s'achèvent en acte de foi. Il donne des gages à tous, et il n'appartient à personne. Les uns sont charmés par le cantique laic, les autres par l'air de flûte voltairien. Il est toujours sur le point d'être de notre avis. Il le sera peut-être demain. Et quel esprit charmant, toujours en fuite sous les saules ! Et quel jeu pour lui de se laisser poursuivre, et comme il est gentiment femme, cet exégète qui porta la robe, et dont le rêve serait de changer de sexe! Comme il s'en laisse conter par toutes les doctrines, sans les décourager, et comme il flirte avec les pensées contradictoires! Le cerveau de M. Renan est un cerveau cour tisan. Lorsqu'il est forcé d'affirmer la dixième partie d'une affirmation, avec quel soin ne se range-t-il pas du côté de la majorité, c'est-à-dire de la moyenne des intelligences ! Il sourit encore, il cligne de l'œil et de la plume, mais il se rallie à l'opinion de la masse, sur laquelle il s'est promis de régner. Quelques petites malices pour les initiés ne l'empêchent pas, alors, d'enguir lander de termes philosophiques et scientifiques le dieu des bonnes gens chanté par Béranger. Il n'y croit pas, je le pense bien, mais il fait semblant d'y croire, et il caresse l'idéal bourgeois. Au fond, M. Renan est le philo sophe du centre gauche et du juste milieu. Il le sait, et n'en rougit pas; et si les générations nouvelles manquent du sens héroïque des choses, M. Ernest Renan, dont l'influence à été considérable, n'est pas étranger à ce résultat. M. Ernest Renan se glorifie humblement d'avoir été chaste. Cet argument est fait pour les Pharisiens. Si l'auteur des Feuilles détachées n'a pas com mis le péché dont les naïfs curés de campagne accusent fougueusement les défroqués et les « hérétiques », il a fait pis : il a péché contre l'idéal, il a péché contre l'Esprit. M. Maurice Barrès descend à coup sur de M. Ernest Renan, dont il voudrait bien, dit-on, être l'héritier présomptif. L'auteur du Jardin de Bérénice a-t-il ce calcul ? Je ne le crois pas. En général, jusqu'aujourd'hui, — malgré son enrôlement dans le boulangisme — M. Maurice Barrés a