Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/19

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III Du fond de la nuit fausse et cruelle où tu plonges, Roi sans sceptre, du fond de ce puits de mensonges Que creusèrent pour toi des siècles envieux, Tu renais dans mon âme, ô mon prince aux grands yeux Je te rois, fatigue des jeux et de la chasse, Sur d'onctueux coussins poser ta tête lasse. Ta bouche, impérieuse et rouge, garde encor, v Façonnée à la mâle embouchure du cor, Le pli victorieux des fanfares sonnées, Et le rêve agité de tes mains décharnées S'accroche à la crinière éparse des chevaux. Pauvre roi chevalier, captif des temps nouveaux. Tu veux être Roland, Xaintrailles ou Lahire, Et désespérément tu sens fondre la cire Du flambeau de tes jours qui n'a rien éclairé! O vigueur enchaînée, ô courage ignoré, Qui descendre\ bientôt dans la terre profonde, Quel soleil vous aurie\ allumé sur le monde, Quel renouveau de sève ardente, quel printemps Magnifique de cœurs flambants et palpitants Vous aurie\ fait jaillir d'une race épuisée, Si, loin de cette cour trop fine et trop rusée. Vous avie\ exercé votre jeune vertu! Pauvre roi chevalier, de quoi te plaindrais-tu? Va! Tout effort est vain : caresse ta chimère. Laisse passer ton siècle et rends grâce à ta mère Dont le viril esprit te fait des jours oisifs. Cisèle des sonnets pleins de beaux vers pensifs Et laisse, au lieu d'agir, la rime dérisoire Jeter sur le vélin d'un poème sans gloire L'ironique reflet de tes gestes rêvés, Car le jeu de Ronsard sied aux rois énervés. Ou bien, pour apaiser tes désirs de bataille, Construis-toi dans ton Louvre une forge à ta taille, Où tes bras emportés par le poids des marteaux En ennemis vaincus traitent les durs métaux.