Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/20

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Ou bien encor, du sang de ta frêle poitrine Rougis le cor de chasse et la trompe marine; Et si tu n'es pas mort avant la mort du jour, Ne te désole pas : il te reste l'amour! L'amour, ô cœur amer, ailé de cantharides, O cœur vertigineux, ô cœur des Danaides, Gouffre avide et sans fond, jaspé de feux obscurs, Où pêle-mêle avec des grappes de seins mûrs Coule et roule, fouetté de vastes chevelures, Un fleuve de baisers mordus par leurs morsures! La luxure, ô mon roi, n'est pour toi qu'un combat. Eros, avec des yeux de lévrier qu'on bat, Lève en vain vers tes yeux un regard qui supplie. Mange ta faim et bois ta soif, cœur en folie! Soûle-toi, trébuchant sur tes manteaux foulés, Du vin de ta vigueur, plein de soleils brûlés! Offre un festin de proie à ta jeune énergie! Cest dans un pré livide, au sortir de l'orgie, Que tes vœux haletants, sous l'arbre du Péché, Finiront par cueillir le trèfle tant cherché, Le trèfle aux feuilles d'or de la force assouvie! Mais tu verras briller ce trèfle de la vie Sur le rire édenté d'une tête de mort! Saute en selle et galope au devant de ton sort! Hâte-toi, car le temps, sur ses ailes sonores Emporte dans son vol tes plus belles aurores, Tes matins les plus clairs et tes soirs les plus doux. Hâte-toi, hâte-toi! Déjà tes cheveux roux, Tes longs cheveux ardents, lustrés aux ?nains des femmes, Brûlent de leur splendeur et lèchent de leurs flammes Ton front pâle, griffé par un mal inconnu. Déjà le rouge œillet de ton rire ingénu S'étiole et bleuit sur tes lèvres crispées. Donne un dernier baiser à tes sœurs, les épées, Et dans la crypte obscure où reposent les rois, Allonge-toi, rigide et fier, les bras en croix, A jamais prisonnier de ton geste immobile, O beau glaive de chair, ô beau glaive inutile: AT.RF.RT Giraud