Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/201

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->93- lignait d'une gambade, voici les airs de flûte et les soupirs du galoubet pastoral. Deux Printemps, une prairie en pente douce toute fleurie, avec du linge sur les haies, un verger épanoui avec un pommier couché, chantent la chanson des jeunes sèves et la griserie du renouveau. Une vue de village égaie l'œil de ses couleurs claires, tandis qu'à l'avant-plan, au bord des eaux limpides, se nuance délicatement le rose fané des cupatoires. Sous des blancs légers d'un Effet de neige des verts curieux transparaissent à peine. Et dans les gris très fins des deux toiles peintes à Mariakerke flotte une mélancolie passagère qui s'envole plus loin dans la joie d'un rayon de soleil. M. Frans Melchers est un débutant, et un débutant d'avenir. Certes, ses œuvres ne sont pas exemptes de réminiscences. Telles d'entre elles, soit par l'inspiration, soit par l'exécution, font pensera Rops, à Schlobach, àToorop, à d'autres encore. Mais des qualités très remarquables s'y avèrent : une intellectualité raffinée, une subtile sensitivité de poète, un instinct d'art suggestif, une capacité de concentration et de simplicité. Quelques œuvres nous ont spécialement séduit : un portrait de jeune fille, d'une expression singulière et profonde ; Province, une synthèse nette, complète, sans sur charge ; London, un groupe de marchandes de violettes, si tristes, si douces et si résignées ; Laus Veneris, un groupe de passion éperdument coupable avec tout le funèbre des enlacements mauvais ; Langueur, un parc désolé défendu par une vieille grille, où le rêve s'arrête interdit ; Promenade, un paysage de longs arbres dépouillés et de petite ville crépusculaire où passent, exquises et mystérieuses, deux petites figures de femmes vêtues de vert et de mauve ; Solitude, un étrange parc où pleure un jet d'eau près d'une serre miroitante au crépuscule ; Là-Bas, un vallon de verdure acide et de végétations touffues, insolites et hostiles ; Marée basse, sous la courbe d'un bateau échoué, une ronde de toutes petites pêcheuses aux jupes ballonnantes, une ronde adorable et puérile, dont l'idée est peut-être empruntée à M. Mel- lery. Partout la couleur est belle, rare, parfois artificielle, toujours intelli gemment composée. De M. Frédéric, un seul tableau, un tableau vraiment religieux, et qui n'est pas un pastiche. Dans une plaine onduleuse, découpée en carrés par les cultures, s'avancent deux anges blonds aux ailes ocellées, magnifiques et soyeuses, drapés seulement de voiles de crêpe, portant le suaire de Véro nique avec l'empreinte de la face du Christ. Sous leurs pas, sous la rosée de sang qui découle de la tête couronnée d'épines, voici que les épines du sol et les ronces desséchées refleurissent, et c'est derrière eux jusqu'à l'hori zon une traînée de roses qui serpente, comme un ruisseau de grâces et de bénédictions. En vain, les vipères cachées dans les herbes se redressent et tentent de souiller de leur venin les lys aux mains des anges. La Visitation du Christ a renouvelé la face de la terre et au loin dans la campagne les pâtres et les laboureurs adorent agenouillés. La couleur de M. Frédéric, qui a des aigreurs et des crudités, ne nous plaît guère. D'autre part, nous trouvons la tête du Christ, trop modelée pour une empreinte, et où l'expression idéale est offusquée par la réalité du