Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/226

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—2l8— — Sont restés sans paroles mais vivaces — Et longtemps dans ce monde elle se tourmenta, — pleine d'un désir merveilleux, — car les sons des cieux ne pouvaient remplacer — les ternes et tristes chants de la terre. Le Poète. Incrusté d'or, mon poignard scintille; — la lame solide est sans défaut; — Son acier d'Elamos étant préservé par une trempe mystérieuse, — l'hé ritage de l'Orient guerrier. — Au cavalier montagnard il servit mainte année, — ne réclamant aucun salaire pour des services rendus. — Ce n'est point sur une seule poitrine qu'il traça son effrayant sillon, — et il ne déchira point une seule armure seulement; — Il partageait les jeux, plus obéissant qu'un esclave, — et sonnait en réponse aux paroles offensantes. En ces jours une luxueuse incrustation — eût été pour lui une parure étrange et honteuse. — Il fut conquis derrière le Terck par un cosaque intrépide — sur le froid cadavre de son maître. — Vendu, il gisait enfoui quelque part — dans la boutique nomade de l'Arménien. — Maintenant, du fourreau natif abîmé à la guerre, — et du héros est privé le pauvre voyageur. — Comme un bijou précieux il brille sur le mur, — Hélas! inoffensif et sans gloire. — Personne, d'une main habile et soucieuse — ne le nettoie, ne le caresse, — sa devise, en priant avant l'aurore, — Personne ne la lit avec ferveur. — Dans notre siècle efféminé, n'as- tu pas, ô poète, — perdu ta réelle destination ? — Pour de l'or tu as échangé cette puissance que le monde — reconnaissait jadis avec une muette vénération. — Autre fois, le son cadencé de tes fortes paroles — enflammait le guerrier pour la bataille : — il était nécessaire à la foule comme la coupe aux festins, — comme l'encens aux heures de prière. — Ton vers, comme l'esprit de Dieu, planait au-dessus de la foule, — et l'écho de toutes les nobles pensées — résonnait en toi comme le bourdon du beffroi, — aux heures de gloire ou de calamités nationales. — Mais ton langage simple et fier est ennuyeux pour nous. — Le clinquant et les trucs parviennent seuls à nous amuser. — Comme une vieille beauté, notre monde vieilli s'est habitué — à cacher ses rides sous le fard... — Te réveilleras-tu encore, prophète ridi culisé, — et se peut-il que jamais, en réponse à la voix de la haine, — tu n'arrache du fourreau doré — ta lame couverte de la rouille du mépris ? Traduit du russe par L. WALLNER.