Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/236

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— 228 presse anglaise reconnaissant, après le Figaro, le génie du peintre. On ne dit pas si l'Indépendance belge a trouvé le trait exquis ! Au prochain numéro, le compte rendu du livre de Camille Lemonnier : Dames de volupté. Extrait d'un très bel article de Léon Bloy dans le Saint-Graal : Voici donc le tableau d'Henry de Groux, dans sa très puissante simplicité. L'Homme des douleurs est debout sur le Mont fameux que la tradition désigne comme le tumulus du premier Désobéissant. A sa droite, une impassible et raillarde brute prétorienne surmontée d'un panache éclatant et qui pourrait être le berger de ce bétail militaire, d'un abrutissement si com plet, qu'on aperçoit à l'arrière-plan. A sa gauche, un individu inexprimable, mélange d'eunuque et d'équarrisseur, qu'on croirait l'ostensoir vivant ou le reliquaire de plusieurs mille ans de crapule humaine. Celui-là, c'est le cornac du lamentable Seigneur qu'on va crucifier, le cicerone indiciblement abject des ignominies, des malédictions et des épouvantes. Il vocifère en désignant la Victime à la multitude. Ht tel est le signal de la plus démoniaque poussée de canailles qu'un peintre brûlant sur lui-même comme un solfatare, ait jamais eu l'audace de repré senter.La rage de cette populace aux poings crispés paraît avoir, selon l'esprit des quatre Evangiles, quelque chose de prophétique et de surhumain. Les petits enfants eux- mêmes, — détail panique ! — hurlent à la mort et brandissent leurs faibles bras contre la poitrine saccagée de l'Agneau divin. Clovis et ses Francs sont diablement loin, oui certes ! et plus on regarde, plus on s'aper çoit qu'ils sont loin, indiscernables au delà des siècles, dans le fourmillement du chaos barbare ! Jésus est seul, absolument seul et face à face avec ce monde condamne par lui, qui n'est rien que la balayure de l'antique Para dis perdu nettoyé par les Chérubins. Ce Dieu fait homme s'est si complète ment dépouillé lui-même qu'il n'a pas voulu garder seulement l'atome de divinité qui lui eût été nécessaire pour n'avoir pas peur. II souffre et tremble dans sa chair, ainsi que les faibles d'entre les plus faibles. Qu'il se soutienne maintenant comme il pourra. Les Anges même ont décampé, les Anges brillants descendus des cieux pour son réconfort. Il est temps que cela finisse, car il ne lui resterait plus de sang à répandre pour ces possédés sur la pauvre Croix salu taire. Il saigne, en effet, terriblement, par toutes les piqûres de sa Couronne et surtout par les innombrables plaies de cette Flagella tion miraculeuse que la franciscaine Marie d'Agreda évaluait à plus de cinq mille coups de lanières plombées. Il est tellement rouge sous la pourpre de son haillon qu'on croi rait, en vérité, que c'est lui qui est le bourreau des autres... Mais ses Mains qui seront percées tout à l'heure, ses mains exsangues de supplicié, si brûlantes par la douleur qu'on les devine capables de consumer le firmament, — je les recommande particulièrement aux explo rateurs d'abîmes qui ne craignent pas de se pencher sur la Misère infinie!...